Longtemps négligée par les spécialistes, l’anxiété sociale est aujourd’hui reconnue comme un véritable trouble anxieux. Il est donc possible d’y faire face, notamment grâce à la thérapie comportementale de groupe. Pharmagazine fait le point sur la question avec le Dr Serge Gozlan.
Nous connaissons tous un timide dans notre entourage. Rien d’étonnant à cela: d’après les spécialistes, la timidité toucherait près de 40% de la population. Placée dans certaines situations sociales, la personne timide ressent un malaise plus ou moins important, et une gêne qui sera perçue par ceux qui l’entourent. Quant au trac, l’autre forme «bénigne» d’anxiété sociale, il affecte 30 à 40% de la population et se manifeste par une angoisse parfois intense juste avant d’entamer une performance: discours en public, examen, prestation artistique ou sportive … En général il se dissipe au cours de l’action. Mais où se situe la frontière entre ces situations gênantes, mais supportables, et l’anxiété sociale proprement dite ? «Comme pour les autres troubles anxieux, les deux facteurs déterminants sont le degré d’inconfort émotionnel et les comportements d’évitement», explique le Dr Serge Gozlan, psychiatre et psychothérapeute spécialiste des phobies sociales. «Dès que la personne souffre et s’ingénie à éviter les situations qui l’angoissent ou ne peut les affronter qu’au prix d’une peur immense, on quitte le domaine de la simple timidité pour entrer dans l’anxiété sociale.»
Quatres dimensions
«Quatre familles de situations sociales peuvent déclencher l’anxiété», poursuit notre interlocuteur. « La première est liée à la performance: la personne doit prendre la parole en public, passer un examen, donner un cours, faire une présentation professionnelle, bref, toute situation où elle sera en position d’être «jugée» par le public. La deuxième catégorie concerne l’interaction informelle: se révéler, parler de soi, avoir une interaction plus personnelle avec quelqu’un. La troisième se rapporte à l’assertivité: défendre ses droits, exprimer un désaccord, refuser, critiquer, donner son avis, bref, s’affirmer. La dernière catégorie est celle de la peur la plus primitive: être regardé, observé par les autres, par exemple en train de marcher, d’écrire, de travailler ou de manger.» Selon les cas, les personnes atteintes d’anxiété sociale redouteront une ou plusieurs de ces situations. «Quelqu’un peut parfaitement être à même de donner, sans ressentir la moindre angoisse, une conférence devant un parterre de professionnels exigeants, et se sentir extrêmement mal à l’aise au cours du petit drink informel qui suivra», illustre le Dr Gozlan.
Entre honte et fatalité
Les phobiques sociaux sont parfaitement conscients de leur problème. «Malheureusement, cela ne les aide pas. Au contraire, même: savoir qu’ils sont anxieux, qu’ils redoutent ces situations que d’autres trouvent parfaitement normales les remplit souvent de honte. Ils s’en veulent de ne pas être comme les autres, de ne pas parvenir à surmonter leur handicap.» D’autant qu’on leur a souvent dit, enfants ou adolescents, que «ça passerait avec l’âge». Etre adulte et rougir pour un oui ou pour un non, transpirer abondamment, trembler, ou simplement avoir la peur au ventre n’est pas facile à vivre. «Le pire, c’est que beaucoup sont persuadés que c’est ainsi, qu’ils sont sociophobes et que cela ne changera jamais», déplore notre interlocuteur. «Or, c’est faux. Il est possible de gérer son anxiété, sans toutefois bien sûr changer sa personnalité. Il est possible de se débarrasser de ses angoisses pour devenir simplement quelqu’un de réservé.»
Thérapie de groupe
Comme pour les autres familles de phobies (...), les thérapies cognitivo-comportementales donnent en général d’excellents résultats dans le traitement de l’anxiété sociale. Plus surprenant, la thérapie de groupe, seule ou en complément d’une thérapie individuelle, est elle aussi très efficace. «Je travaille avec des petits groupes de huit à dix personnes. Lors de la première séance, j’observe toujours les mêmes réactions chez les participants», explique le Dr Gozlan. «Une peur terrible à l’idée de se retrouver dans un groupe, suivie, peu après, d’un énorme soulagement. Tout à coup, ils ne se sentent plus seuls: d’autres sont là, avec eux, qui ressentent les mêmes craintes, les mêmes angoisses. Je me souviens d’un participant dont la stratégie d’évitement consistait à se montrer très arrogant et cassant pour cacher sa timidité. Au début de la première séance, chacun se présente et explique son vécu. Lorsqu’il a pris la parole, il n’a pas du tout agi comme à son habitude: il était bouleversé, et surtout soulagé, de rencontrer d’autres personnes qui avaient le même problème.»
Du jeu de rôles à la confrontation
La puissance de la thérapie de groupe réside dans la possibilité de recréer, dans un univers contrôlé, peuplé de personnes amicales et compréhensives, les situations anxiogènes des différents participants. «Avec notre petit groupe de huit à dix personnes, nous pouvons reconstituer une réunion de travail, un dîner de famille, ou une mini-conférence», explique le Dr Gozlan. «Ces mises en scène, tout imparfaites qu’elles soient, permettent d’observer les comportements, et de faire rejaillir les émotions et les cognitions, puis de les travailler ensemble.» Mais la thérapie ne s’arrête pas là. «L’étape suivante, après ce premier travail en milieu sécurisant, c’est de sortir ensemble de la salle de réunion pour aller sur le terrain», poursuit le thérapeute. «Nous prenons le tram ensemble, pour aider celle ou celui qui n’ose plus monter dans un tram par peur du regard des autres. Ou bien nous allons faire la file au cinéma et engager la conversation avec des inconnus.»
Une aide réellement efficace
Au fil des 20 à 25 séances que dure une session, les participants, qui se soutiennent mutuellement, font de réels progrès. «C’est une satisfaction de voir chacun se libérer peu à peu de ses chaînes», sourit le Dr Gozlan. «Je me souviens d’un homme, excellent pianiste, qui était paralysé par une angoisse de performance: se sentant incapable de jouer en public, il n’avait plus donné la moindre représentation depuis plus de cinq ans. Au fil du temps, épaulé par les autres participants, il s’est libéré de ses craintes: lors de notre dernière séance, il a donné un petit récital devant les autres participants.»
Auteur : Frédéric Wauters
Source : Pharmagazine (n°61, novembre-décembre 2009) - © Multipharma