« Charmante », « touchante », la timidité se révèle parfois, pour ceux qui la vivent, un enfer quotidien. En Belgique, plusieurs centres aident les timides, ces « anxieux sociaux », à dompter leur peur des autres.
Crampes au ventre, rougissement, accélération cardiaque, respiration irrégulière, tension musculaire, perte de concentration... Son corps est son principal ennemi, car il le trahit sans cesse. Le timide croit qu'il va attirer l'attention générale. En réalité, il craint de révéler ses failles, lui dont le principal souci est souvent la perfection. Il y a là, sous-jacent, un peu d'orgueil. Et beaucoup de détresse. Comme il répugne à montrer ses faiblesses, le timide reste constamment aux aguets. Il vit, en permanence, un tumulte psychique et physique épuisant. Combien de personnes souffrent-elles ainsi, en silence ? Les chiffres varient, selon l'intensité du handicap. « Mais, chez 5 à 10 % de la population, la timidité conduit à l'anxiété sociale. Elle prend alors une tournure invalidante, qui peut déboucher sur des dépressions, des abus de drogues ou d'alcool, des difficultés de relations au travail ou à l'école », assure le Dr Serge Gozlan, responsable, à Bruxelles, du Centre de gestion du stress et de l'anxiété. Présent à la clinique Antoine Depage et à l'hôpital universitaire Brugmann, le centre propose, depuis plusieurs années et toujours en accord avec le patient, un traitement à la fois psychologique (thérapie cognitive et comportementale) et/ou pharmacologique (antidépresseurs). Pratiquées à plusieurs ou seul à seul avec un thérapeute, les séances sont toutes remboursées par la sécurité sociale. « Dans les groupes, la présence des autres patients permet de recréer des conditions anxiogènes avec un réalisme parfois surprenant, explique le Dr Gozlan. En l'aidant pas à pas, nous démontrons au timide ce qui le bloque - le cercle vicieux entre ses pensées et ses émotions, qui sont des croyances erronées, et ses comportements. Ainsi, en visionnant les séquences filmées des exercices, les timides s'étonnent souvent de constater que, finalement, ils n'ont pas rougi autant qu'ils l'imaginaient... »
A l'hôpital Brugmann, le Centre a aussi mis sur pied un groupe d'entraide (gratuit) assez fréquenté, qui réunit les anciens timides et les « nouveaux ». Avec des petites nuances dans les thérapies pratiquées, d'autres services hospitaliers du pays ont également organisé des consultations spécialisées. C'est le cas notamment de l'UCL qui, à Louvain-la-Neuve, dispose d'un groupe d'affirmation de soi, mais aussi de l'ULg (Sart Tilman) et de l'hôpital Van Gogh, à Marchienne-au-Pont.
D'où vient la timidité ? Pour certains, elle ne serait qu'une survivance animale : il n'est pas bon pour le chien de se trouver seul face à la meute ! Transposée dans notre société humaine, c'est la position désagréable du conférencier mal à l'aise devant un public nombreux. Une autre tentative d'explication dénonce un contexte familial surprotecteur et angoissé. Mais, si la peur d'affronter l'Autre est bel et bien inscrite dans nos gènes, lorsqu'elle nuit à la prestation, elle cesse d'être une alliée et mérite d'être soignée. C'est d'autant plus vrai que les timides éprouvent des sentiments négatifs (honte, culpabilité, mésestime de soi). Or beaucoup d'entre eux considèrent leur mal comme une fatalité. D'autres pensent que l'habitude ou l'exercice de leur simple volonté leur permettront, un jour, de dominer la situation. C'est présomptueux. En général, ni le temps ni l'exposition à davantage de situations « effrayantes » n'y remédient totalement. Aussi, à un moment donné, certains timides ressentent-ils le besoin de se prendre en main. « Souvent, ils appellent en situation de crise. " Ça" ne peut plus durer. C'est parfois un événement dramatique (un examen oral qu'ils ont raté) ou une rupture affective (le partenaire en a eu marre de leur mutisme) qui les amènent à consulter », témoigne Daniel Van Buylaere, fondateur, à Bruxelles, de l'ASBL Infor-Timidité. En 1990, Van Buylaere n'avait certes pas « une confiance en soi mirobolante ». Sa volonté de créer un centre spécialisé, qui donne aux timides, par la thérapie comportementale, les moyens d'échapper à leur prison (« La timidité est comme le gel, elle engourdit tout, y compris la volonté d'en sortir... »), découlait surtout de l'absence de solutions satisfaisantes. « A l'époque, ce handicap n'intéressait personne. Les timides ? Des incompris, en particulier par leur entourage, qui considère leurs symptômes comme des "manies un peu fantasmatiques" ... » En treize ans de fonctionnement, Infor-Timidité (qui refuse de préciser combien de patients défilent chaque année sur ses bancs) affirme avoir affiné sa méthode. L'entraide seule, qui présidait aux premières réunions de groupe, est rapidement apparue insuffisante. « Elle réconfortait les gens, mais eux ne guérissaient pas », se rappelle Van Buylaere. Aujourd'hui, le partage des expériences individuelles est inclus dans des séminaires payants, tenus en soirée, qui abordent surtout l'aspect pragmatique - jeux de rôle et analyse des grandes causes du manque de confiance en soi. « Au bout de quelques mois, ceux qui s'impliquent vraiment et qui ne présentent pas de résistance majeure commencent à ressentir de très bons résultats », assure le psychothérapeute.
Sans vouloir rentrer dans la polémique, de nombreux praticiens des centres universitaires spécialisés expriment toutefois leurs doutes sur l'efficacité d'Infor-Timidité. Quoi qu'il en soit, cette ASBL, dont le public est surtout constitué d'adultes d'âge mûr et d'étudiants, s'abstient de traiter les enfants. « La timidité provoque inévitablement des "dégâts collatéraux", rappelle Van Buylaere. Nous sommes parfois témoins de l'attitude de parents qui démolissent l'assurance de leurs enfants. Ça fait mal au coeur. Mais le problème chez l'enfant est le miroir de celui à l'oeuvre chez l'adulte. Et c'est ce dernier qu'il faut d'abord interpeller. » Au Centre de gestion du stress et de l'anxiété, où il lui arrive de soigner des jeunes dès 10 ans, le Dr Gozlan souligne que la phobie sociale peut démarrer très tôt dans l'existence. Elle connaît même deux pics (l'un dans la petite enfance, l'autre à l'adolescence) et passe quelquefois inaperçue. « Les profs font toujours attention aux chahuteurs. Rarement aux "trop calmes"... » Or la timidité à l'école entraîne des conséquences parfois catastrophiques. Il n'est pas rare que des élèves qui restent bouche bée (alors qu'ils connaissent pertinemment les réponses aux questions qui leur sont posées) soient, finalement, réorientés vers des types d'enseignement plus (trop) faciles. « J'ai connu des derniers de classe, en fin d'humanités, propulsés soudain premiers, après une thérapie adaptée », confie pour sa part Van Buylaere...
Auteur : Valérie Colin
Source : Le Vif
du 04/07/2003 - © Le
Vif/L'Express