Un parcours exemplaire où l'on voit la fille d'émigrés roumains gravir, déterminée, les échelons qui la conduiront à un poste à haute responsabilité au sein d'un grand hôpital bruxellois.
Née de parents émigrés roumains, Anne Peretz grandit dans un climat familial intellectuel mû par un intense désir d'intégration, ses parents ayant fait un black out complet sur leur passé. Le père est devenu professeur en polytechnique à l'ULB, la mère, qui n'avait pas le droit de travailler, inculque à ses deux filles la notion d'autonomie, que toutes deux sauront bien mettre à profit au vu de leurs carrières respectives. La sœur a émigré au Canada, à Montréal, où elle dirige un laboratoire de recherche sur la musicologie.
Décidée à s'orienter vers la médecine dès l'âge de 16 ans, la jeune Anne Peretz ajuste son parcours scolaire en intégrant les maths fortes en fin d'humanités. "Pourquoi ce choix? Vraisemblablement à cause de l'exemple donné par la maman d'une amie qui était médecin. J'étais attirée par la compréhension de ce mystère qu' est le corps humain plus que par compassion pour 'sauver' d'autres vies."En tout cas pas pour faire le bien , insiste-t-elle. Du moins pas au départ, ajouterons-nous.
A l'université, elle ne voit pas le temps passer et, tout en réussissant brillamment, elle participe à la vie estudiantine, très sensible déjà aux grandes causes féministes. Elle ne se sent pas trop attirée par la médecine générale qui embrasse un trop vaste champ à son goût et préfère maîtriser un domaine à fond. A l'époque, en 1977, la médecine interne attirait pas mal de candidats, mais les places étaient plutôt rares: il y régnait une compétition féroce, beaucoup plus forte qu'aujourd'hui, du moins au moment de choisir une spécialisation.
C'est ainsi qu'elle se retrouve en médecine interne à l'hôpital St Pierre, face à des responsabilités, "à la crainte de se tromper, de donner le mauvais traitement…" Une autre confrontation qui n'allait pas cesser de coller à son parcours tout au long de sa carrière est celle des pauvres, des sans-abris, des alcooliques, dont le seul refuge ne peut être que l'hôpital public.
Une spécialité "intellectuelle"
Après trois ans de médecine interne, estimant que celle-ci était trop vaste, Anne Peretz recherche à nouveau un domaine plus pointu qui puisse la satisfaire intellectuellement . Elle repousse une proposition de faire la cardiologie, dont l'aspect trop technique la rebute. Elle aura d'ailleurs à cœur, tout au long de sa carrière, de combattre l'idée de plus en plus prégnante selon laquelle la cote d'une spécialité médicale se mesure à son haut degré de technicité.
Une discipline nouvelle et mal connue comme la rhumatologie répond à ses attentes, une spécialité qu'elle fait en deux ans après trois ans de médecine interne, ce qui, à l'époque, constituait une première à l'ULB. En 1982, la voilà donc rhumatologue à l'âge de trente ans, en même temps qu'elle devient mère pour la première fois. Décidée à ne pas paraître plus vulnérable devant ses collègues masculins du fait de sa maternité, elle fait face à ce nouveau défi en continuant à assumer ses 60 heures de travail par semaine à l'hôpital.
Pendant 10 ans, elle exercera à Saint-Pierre avec le désir de toujours en savoir plus, de ne pas se contenter de la routine. En 1985, elle entreprend une thèse de doctorat sur le rôle des oligo-éléments dans la pathologie inflammatoire, thèse qu'elle défendra en 1991. Le caractère universitaire de l'hôpital était pour elle essentiel à son parcours. Friande de contacts humains, elle pouvait y assouvir son besoin de dialoguer avec d'autres disciplines et de confronter les points de vue. En 1988, naît son second enfant.
A 40 ans, elle postule à la succession du chef de service de rhumatologie au CHU Brugmann, cette discipline étant à la fois mieux reconnue et plus structurée dans cet hôpital du nord de Bruxelles. "Ce poste, je l'ai obtenu de mon propre chef, sans piston ni intervention particulière. De cela, je suis assez fière." A partir de ce moment-là, elle s'est souvent retrouvée la seule femme dans un monde d'hommes. Mais elle ajoute: "Car s'il est vrai que je me suis toujours conduite de manière à ne pas paraître différente, à ne pas demander des faveurs, je me sens bien femme et pas homme!" Et ce n'est pas la remarque prononcée un jour par un de ses collègues masculins ("Anne , toi tu fonctionnes comme un homme!") qui la fera changer d'avis…
Adjointe à la direction médicale
Les responsabilités, elle n'en a pas peur, se demandant toujours pourquoi les femmes répugnent à en prendre. Elle relève que même chez le personnel soignant qui, lui, a tendance à se masculiniser, ce sont le plus souvent les infirmiers qui postulent pour les postes à responsabilité.
Sa fonction de chef de clinique n'entame pas son souci de préserver au médecin une place réelle au sein de l'institution hospitalière, de plus en plus sous la coupe de gestionnaires et d'administratifs qui rêvent tous de diriger un hôpital où il n'y aurait pas de médecins! C'est ainsi qu'elle rejoint le Conseil médical de l'hôpital, organe de défense du corps médical. Mais l'avenir plus global des hôpitaux publics et celui, plus particulier, des disciplines dites non rentables car non techniques, dont la rhumatologie constitue un bon exemple, continuent à l'interpeller. Après une phase de flottement, elle n'envisage de rester dans l'institution hospitalière que si elle peut laisser s'exprimer ses desiderata quant à sa conception de la médecine, travailler de concert avec d'autres et mener des projets à terme. La voie vers la direction médicale était toute tracée…Elle la rejoint en 2001 à titre d'adjointe, après avoir suivi une formation (une de plus!) en management hospitalier. Etonnamment, les femmes y occupent la moitié des sièges.
Il est sans doute utile de rappeler ici les fonctions de la direction médicale. Cette instance est en charge de trois domaines: l'organisation des soins (dont un exemple est la prise en charge des cancers du sein), la gestion des ressources humaines (comment attirer des médecins – question prégnante s'il en est – ou du personnel soignant?, comment faire pour empêcher que soient mieux rémunérés des radiologues ou des chirurgiens au détriment de collègues moins "techniciens"?), le suivi financier (comme l'analyse de la productivité des services et des personnes; on peut citer à cet égard un problème relativement nouveau: l'absentéisme des patients qui ne se rendent pas à leur rendez-vous). Il faut aussi savoir qu'à côté de la direction médicale existe la direction générale, la direction des soins infirmiers et la direction technique, toutes devant participer avec la direction médicale à la (co)gestion de l'institution.
Terrain d'affrontement entre une vision purement économique et une vision humaniste, la direction médicale a aussi la tâche d'exiger des hôpitaux publics de maintenir un (difficile) équilibre financier. A ce titre, le Dr Peretz nous fait part de ses inquiétudes quant à l'avenir de l'hôpital public, qui risque de ne plus pouvoir répondre aux plus démunis. La médecine à deux vitesses n'est pas loin, selon elle.
Une vision plus humaniste de la médecine serait-elle l'apanage des femmes? Non, bien sûr, répond Anne Peretz, qui reconnaît des qualités de générosité et d'altruisme à ses collègues masculins. Il n'empêche, la profession médicale semble actuellement moins attirer les hommes qui s'orientent plus vers des métiers plus rentables dans le monde de l'entreprise. Quant à la féminisation progressive du corps médical, l'adjointe à la direction médicale émet un avis partagé, l'un positif déplorant l'inévitable dévalorisation de la profession qui y est associée et l'autre positif, soulignant la nécessaire adaptation des temps de travail qui ne peut que contribuer à une plus grande disponibilité pour la formation continue.
Désireuse de garder le contact avec la réalité, elle n'a pas laissé tomber tout à fait son activité clinique qui occupe encore un tiers de son temps.
Toujours plus loin, toujours plus, pourrait-on dire à propos de la carrière de Anne Peretz pour qui le bonheur "c'est d'être embarquée sur une route qui vous fait continuer". Une forte tête assurément que cette femme petite et menue, qui n'a jamais eu peur des défis et qui trouve dans le vélo et la pâtisserie de quoi la soulager du stress constant engendré par ses hautes responsabilités.
Auteur : Marguerite Loute
Source : Le Journal du Médecin
(n°
1871 du 06/11/2007) - ©Lejournaldumedecin.com