Plus d'un patient gériatrique sur deux souffre de dénutrition. Un phénomène qui commence souvent bien avant l'hospitalisation. Au sein du service de gériatrie du CHU Brugmann, une équipe pluridisciplinaire s'efforce dès l'admission de prévenir, détecter et résoudre ce problème.
La dénutrition est un phénomène complexe. "Ses causes sont souvent médicales: la pathologie qui a nécessité l'hospitalisation entraîne un état inflammatoire aigu qui provoque une perte d'appétit chez le patient, au moment précis où les besoins caloriques de son organisme augmentent", explique le Dr Ingo Beyer, chef de clinique de gériatrie au CHU Brugmann. "Mais de nombreux facteurs socio-économiques et psychologiques jouent également un rôle. Souvent, la dénutrition commence plusieurs mois avant l'hospitalisation. Le traitement lui-même peut également déclencher ou aggraver les problèmes de nutrition. Ces multiples causes ont tendance à se renforcer mutuellement. Une prise en charge efficace de la dénutrition nécessite donc de mener plusieurs actions en parallèle."
Fragilité et perte d'autonomie
"Les patients gériatriques sont caractérisés par un "syndrome de fragilité"
(diminution des réserves physiques ou
psychologiques) et, souvent, par une
perte d'autonomie qui entraîne des difficultés d'alimentation, et donc une possible dénutrition." Cette fragilité ou réelle
perte d'autonomie est généralement antérieure à l'hospitalisation, mais elle
peut s'intensifier au moment de l'admission: au cours des 48 à 72 premières
heures d'hospitalisation, de nombreux
patients deviennent très dépendants.
Une fragilité qui peut être aggravée par
les examens nécessaires à la prise en
charge de la pathologie, qui s'effectuent
souvent à jeun, bouleversant le rythme
des repas au cours des premiers jours.
"Une première mesure de prévention
consiste, avant de décider d'un examen, à nous interroger sur la valeur ajoutée qu'il apporte à la prise de décision
thérapeutique."
Une admission très surveillée
Afin d'intervenir le plus rapidement possible, la vigilance s'exerce dès l'admission des patients gériatriques. "Nous
disposons d'un outil appelé MUST
(Malnutrition Universal Screening Tool) qui permet une première évaluation
du risque de dénutrition", poursuit le
Dr Beyer. MUST combine plusieurs critères, à commencer par l'indice de masse
corporelle (IMC) du patient. "L'IMC n'est cependant pas suffisant en soi: un obèse
peut lui aussi souffrir de dénutrition.
Nous observons donc l'évolution du
poids, en interrogeant le patient ou son
entourage. Une perte de poids de plus
de 5% en trois à six mois est un signal
d'alarme." La troisième dimension de
MUST concerne le risque présenté par la
pathologie elle-même ou son traitement.
Les accidents vasculaires cérébraux, par
exemple, entraînent quasi systématiquement des problèmes de déglutition.
D'autres pathologies sont soignées à
l'aide de médicaments qui provoquent
une perte d'appétit. Tous ces risques
potentiels sont aisément identifiables.
"En combinant ces trois dimensions,
nous pouvons évaluer le risque de dénutrition global. Nous complétons cette
approche par le dosage de certains des
paramètres sanguins. Le taux de préalbumine, par exemple, permet de déterminer si l'apport protéique est suffisant
chez le patient."
Pluridisciplinarité de rigueur
Au sein du service de gériatrie, une équipe pluridisciplinaire s'occupe des patients: médecins, infirmiers, aides-soignants, diététiciens, ergothérapeutes et logopèdes. "Nous voyons chaque patient à l'admission afin de déterminer ses habitudes alimentaires", explique Eugénie Joly, diététicienne en chef. "Nous pouvons ainsi pointer les éventuelles carences, mais surtout essayer – dans la mesure du possible – d'adapter les repas proposés à leurs habitudes et à leurs goûts." Ces petites adaptations, comme ne pas servir au patient un légume ou une viande qu'il n'aime pas, permettent d'éviter qu'il ne saute un repas. Contrer la dénutrition n'est pas facile. "Nous ne pouvons pas nous contenter de doubler les doses: comme nos patients souffrent souvent de problèmes de déglutition, ils ne mangeront pas plus. Nous devons exploiter d'autres pistes, comme les potages enrichis: ils permettent, avec le même volume d'un aliment apprécié des personnes âgées, d'augmenter l'apport calorique et protéique."
Agir à tous les niveaux
Chaque membre de l'équipe apporte sa pierre à l'édifice. "Nous coordonnons en permanence nos efforts", insiste Eugénie Joly. "Les ergothérapeutes, qui passent beaucoup de temps avec les patients, recueillent énormément d'informations utiles de manière informelle. Les infirmiers et aides-soignants évaluent après chaque repas la quantité de nourriture absorbée par le patient. Ces derniers jouent également un rôle crucial en retirant des plateaux les compléments alimentaires liquides que nous donnons à certains patients. Les prendre en dehors des repas maximise en effet leur efficacité." Tous ces petits gestes concrets contribuent à limiter le problème de la dénutrition.
Auteur : Frédéric Wauters
Source : Osiris News
(n°
14, mars-mai 2009)