Grâce aux progrès de la médecine, de plus en plus de patients pédiatriques touchés par une maladie chronique grave atteignent aujourd'hui l'âge adulte. Ils sont alors amenés à passer d'un service de pédiatrie à un service «adulte». Comment les équipes de l'HUDERF et du CHU Brugmann s'organisent-elles pour que la transition entre ces deux types de prise en charge se déroule de manière optimale? C'est ce que nous vous invitons à découvrir...
Pour mieux comprendre les enjeux de la
transition, partons d'un exemple fictif: un petit
patient atteint d'une maladie sanguine grave, la
drépanocytose. Chez la plupart des patients, il
n'existe pas de traitement permettant de guérir cette
maladie. Cependant, il est possible – moyennant un
suivi médical étroit – de prévenir ou prendre en
charge les complications liées à la drépanocytose.
«Aujourd'hui, une très grande majorité de nos
patients drépanocytaires atteignent l'âge adulte»,
indique le Pr Alina Ferster, chef de la clinique
d'Hémato-oncologie de l'HUDERF. C'est le cas de
notre petit patient: il est devenu adolescent. Ses
troubles physiques, mais aussi ses attentes et
questionnements ne relèvent désormais plus de la
pédiatrie et il sera bientôt amené à quitter l'HUDERF.
«Pour garantir une continuité dans la qualité de la
prise en charge, nous travaillons essentiellement avec les équipes médicales du CHU Brugmann»,
poursuit le Pr Ferster. «L'HUDERF et le CHU
Brugmann accueillent un grand nombre de patients
drépanocytaires depuis de nombreuses années,
ce qui nous a permis de développer une expertise
reconnue.»
D'une équipe à l'autre
«La drépanocytose entraîne des problèmes d'ordre sanguin mais aussi des troubles cérébraux, cardiaques, rénaux, ophtalmologiques, des difficultés aux niveaux psychologique et social... Quand le patient quitte un établissement pour un autre, c'est toute l'équipe pluridisciplinaire gravitant autour de lui qui est amenée à changer», relève le Pr André Efira, chef de clinique honoraire à la clinique d'Hémato-oncologie du CHU Brugmann. «Nous avons la chance d'avoir sur le même campus un grand hôpital pédiatrique et un hôpital adulte qui proposent une prise en charge poussée de ce type de maladie sanguine. Avec nos collègues de l'HUDERF, nous nous rencontrons de manière fréquente. Nous discutons notamment des patients qui seront prochainement pris en charge dans le service «adulte» d'Hémato-oncologie. Quelles sont leurs spécificités? Quelles sont les difficultés rencontrées? Comment les pédiatres envisagent-ils la poursuite de leur prise en charge? De leur côté, les infirmières de liaison de chaque établissement ont aussi régulièrement des contacts préalables au transfert des patients. De cette manière, il n'y a pas de rupture dans la prise en charge.»
Concrètement
La transition ne se fait pas sans préparation. À l'instar de notre patient drépanocytaire, les adolescents concernés par la transition ont été suivis de manière régulière par la même équipe depuis leur naissance! Le passage d'un service à l'autre doit dès lors être le plus progressif possible. «Nous en discutons avec le patient pendant environ une année entière avant de passer le flambeau à nos collègues», précise le Pr Ferster. «En outre, une équipe du CHU Brugmann se rend au moins une fois par an à l'HUDERF pour y présenter le service "adulte" et expliquer la manière dont va s'organiser la prise en charge. Les patients pédiatriques sont aussi invités à visiter les départements d'Hémato-oncologie du CHU Brugmann.»
Par ailleurs, des rencontres entre patients «adultes» et patients pédiatriques sur le point d'être transférés ont été mises en place l'année passée. «Ces groupes de parole centrés sur les patients ont remporté un franc succès et ont donné lieu à des échanges fructueux», se réjouit le Pr Efira.
De nombreux départements du campus Osiris sont concernés par la question de la transition. Si chacun d'entre eux a développé un parcours spécifique à destination de ses patients, les grandes étapes du processus, elles, sont communes à tous les services. Démonstration par l'exemple.
#1 : l'éducation thérapeutique en pédiatrie
L'exemple de la drépanocytose
«Au moment du diagnostic, quand l'enfant
est encore tout petit, nous nous adressons
principalement aux parents», retrace Malou
Ngalula, infirmière référente drépanocytose à l'HUDERF. Dans un deuxième temps, les équipes s'adressent de plus en plus à l'enfant. «Quand le patient grandit, je m'entretiens
directement avec lui», confirme Malou Ngalula.
«Je lui demande comment il se sent, quels
médicaments il prend… Je me base sur sa vie
quotidienne (école, loisirs, excursions…) pour
qu'on trouve ensemble des solutions aux problèmes
qu'il peut rencontrer. L'objectif est de
replacer l'enfant au centre des discussions, ce
qui aide à préparer la transition qui aura lieu
quelques années plus tard.»
«Au moment du passage vers les services "adultes", le patient doit connaître sa maladie,
comprendre les décisions relatives à son traitement,
savoir comment gérer les symptômes, être en mesure de surveiller et reconnaître
les signes d'alerte qui doivent le pousser à se rendre à l'hôpital. En somme, il doit être
devenu acteur de sa propre santé.»
#2 : le patient "acteur" de sa santé
L'exemple de la mucoviscidose
«Très tôt, nous avons développé un processus
de transition organisé et structuré»,
souligne le Dr Laurence Hanssens, chef
de clinique de Pneumologie à l'HUDERF. «Au fil du temps, nous avons affiné nos projets.
Désormais, le processus que nous proposons à nos patients s'étale sur plusieurs
années et s'appelle MOVE UP, pour bien refléter l'idée de progression dans la prise
en charge.»
«Vers l'âge de 14 ou 15 ans, nos patients sont reçus avec leurs parents par un
psychologue de l'équipe. Ils sont invités à remplir un questionnaire qui permettra
de dresser un état des lieux de leurs connaissances sur la maladie et sa prise en
charge. L'idée est aussi de mettre en lumière les questions que le patient peut se
poser, les problématiques qui le préoccupent, les craintes qu'il peut avoir, etc.
Ce questionnaire constitue la base du travail de transition que nous allons mettre
en place avec lui. Pendant environ une année, le patient est vu à l'HUDERF par chaque membre
de l'équipe (médecins, pharmacien, kinésithérapeute, travailleur social, diététicien,
psychologue…)», poursuit le Dr Hanssens. «À l'issue de cette année, il est invité à repasser le même questionnaire pour évaluer la manière dont ses connaissances
ont évolué. Il reçoit ensuite une brochure informative réalisée par notre département.
Cette brochure présente l'équipe de l'Hôpital Érasme, avec laquelle nous
travaillons en étroite collaboration. Nous y expliquons aussi la manière dont la prise
en charge va se dérouler durant les trois années à venir, avec notamment des
consultations alternées dans chaque établissement.»
#3 : le passage de flambeau
L'exemple des maladies métaboliques
«La transition constitue une étape
cruciale pour les patients. C'est une
période critique, durant laquelle le risque
qu'ils échappent à la prise en charge est
réel. Nous devons dès lors nous montrer
particulièrement attentifs à ce que ce
passage d'un service à l'autre se déroule
le mieux possible», observe le Dr Corinne
De Laet, chef de clinique dans l'unité des
maladies métaboliques. «Nous travaillons en
collaboration avec le service de Médecine
interne du CHU Brugmann», poursuit-elle.
«Nous organisons des consultations
communes une fois par semaine à l'HUDERF.
Les patients sont conviés à deux ou trois
rendez-vous de ce type avant leur passage
vers les services "adultes". De cette
manière, ils apprennent à connaître l'équipe
médicale qui va les suivre et reçoivent des
informations sur la manière dont la prise en
charge va
se dérouler,
sur ce qu'ils
devront
eux-mêmes
gérer, etc.»
#4 : le patient comme interlocuteur principal
L'exemple des cardiopathies congénitales
La prise en charge médicale des maladies
cardiaques congénitales est répartie sur deux
entités différentes. «Or, une bonne collaboration
entre les équipes est un critère essentiel pour une
transition réussie», souligne le Pr Pierre Wauthy,
chef de service de Chirurgie cardiaque. «C'est la
raison pour laquelle nous avons un pédiatre (le
Dr Hugues Dessy) et une cardiologue "adulte" (le
Dr Marielle Morissens) qui assurent la jonction
entre les deux types de prise en charge.»
«En pédiatrie, les interlocuteurs privilégiés sont encore souvent les
parents. Mais au cours de la consultation "de transition" que je tiens chaque semaine à l'HUDERF, je m'adresse essentiellement au patient, même si ses parents sont présents », indique le Dr Marielle Morissens.
«En pratique, cette consultation est destinée aux jeunes de 16 à 18 ans atteints
d'une cardiopathie congénitale, mais il arrive que certains patients qui ne sont pas
encore prêts à quitter l'environnement pédiatrique continuent d'y venir plus longtemps », détaille le Dr Morissens. «Ces consultations sont pour les patients l'occasion
d'un premier contact avec un cardiologue pour adultes dans un environnement qui
leur est familier, parfois en présence du pédiatre qui les a suivis durant leur enfance.
Lors de ces rendez-vous, je me présente et j'explique au patient pourquoi il va désormais être pris en charge du côté "adulte". Je reviens également sur la cardiopathie
dont il est atteint et lui expose les raisons pour lesquelles il doit continuer à être suivi
de manière étroite tout au long de sa vie. C'est fondamental pour éviter que le patient
ne délaisse sa prise en charge.»
#5 : l'éducation thérapeutique se poursuit
L'exemple de la drépanocytose
Une fois adultes, les patients drépanocytaires ont, eux aussi, encore besoin d'une
surveillance médicale étroite. «Comme la maladie évolue, la prise en charge doit être adaptée en conséquence. Il est fondamental de bien l'expliquer au patient afin de
favoriser l'adhérence au traitement», explique Blanche Dohet, infirmière de référence
drépanocytose au CHU Brugmann. «L'adolescence est une période particulière pour le
patient», ajoute-t-elle. «Il va être amené à opérer des choix de vie importants, au niveau
de ses études, de la voie professionnelle qu'il va privilégier, de l'endroit où il va vivre… Cela fait beaucoup de changements à gérer, en parallèle de la transition. Sans compter
que l'adolescence est parfois vécue dans une attitude de rébellion: refus de s'identifier à la maladie, volonté farouche de vivre comme tout le monde… Autant de paramètres
dont nous devons tenir compte.»
Auteur : Aude Dion
Source : Osiris News
(n°
48, décembre 2017 - février 2018)