>>Comas persistants : sortir du coma grâce aux nouveaux lits d'éveil

Les unités de comas persistants du CTR et du CHU Brugmann travaillent en symbioseC’est une équipe de choc et de charme qui se trouve à la tête de la nouvelle unité pour "comas persistants", avec aux commandes Manfredi Ventura, Médecin chef de service du CTR et Marie-Dominique Gazagnes, neuro-revalidatrice au CHU Brugmann. Petit tour d’horizon d’un projet fédéral qui souffle sa première bougie.

Marc, 37 ans, vient d’être admis dans l’un des huit lits de la nouvelle unité de "comas persistants", située sur le campus Horta. Il y a un mois, il a été victime d’un AVC (accident vasculaire cérébral) qui l’a plongé dans un état qualifié de neuro-végétatif. Même s’il ouvre de temps en temps les yeux, il n’a pas conscience de son environnement. Il ne réagit pas à la présence des infirmières, ni même de ses proches qui lui rendent régulièrement visite. Cependant, ses fonctions végétatives ne sont pas atteintes. Marc respire donc sans l’aide d’appareils et son coeur bat également de façon autonome, ce qui n’est pas forcément le cas pour d’autre types de comas où les fonctions hypothalamiques et tronculaires sont atteintes. Autre différence : son électro-encéphalogramme démontre une activité cérébrale certaine, il n’est donc pas en état de mort cérébrale.

Les visages multiples du coma

Les comas persistants peuvent avoir trois origines : vasculaire (accident vasculaire cérébral), traumatique (notamment suite à un accident de la route) ou anoxique (manque d’oxygénation du cerveau lors de réanimations pour arrêt cardiaque ou respiratoire par exemple). "Nous prenons également des patients dans un état qualifié de pauci-relationnel, c’est-à-dire capable d’une certaine interaction, parfois très limitée, avec leur environnement. Ces patients ont repris conscience, ils arrivent progressivement à communiquer via des gestes, des clignements des yeux et parfois la parole. Ils peuvent répondre à une injonction verbale et suivre une personne qui se déplace dans la pièce. Quand plusieurs de ces signes apparaissent, c’est que le patient est sorti du coma persistant. Mais attention, cela ne veut pas dire qu’il va évoluer davantage, certains demeurent dans cet état pauci-relationnel à vie", explique le Dr Marie-Dominique Gazagnes qui, de même que le Dr Manfredi Ventura, est également expert à la plate-forme fédérale qui gère ce projet.

Le cap des six mois

Ne vous attendez pas à trouver ici de salle grise et sombre, comme celle dans laquelle Uma Thurmann émerge dans Kill Bill, le dernier film de Quentin Tarantino. Ces lits, que le Dr Gazagnes préfère qualifier de "lits d’éveil", sont répartis dans des salles nettement plus conviviales afin de stimuler ces personnes, placées parmi d’autres malades. "Nous veillons à ne pas mettre ces patients en contact avec d’autres personnes que leur présence pourrait choquer, mais il nous a semblé important d’éviter le ghetto afin de favoriser les stimulations. Ces dernières peuvent être physiques et sensorielles, puisque nous conseillons aux proches de toucher ces patients. Elles peuvent aussi être olfactives ou auditives. Nous essayons même, lorsque c’est possible, de les nourrir de façon naturelle ou de les asseoir dans des chaises, afin qu’ils reprennent un peu vie", explique le Dr Ventura.
Tant le CTR (Centre de Traumatologie et de Réadaptation) que le CHUB possédaient déjà une expérience dans ce domaine. Ils étaient confrontés au problème du placement des patients après revalidation et dans le cas où ils ne se réveillaient pas. Le service public fédéral de la santé a pris conscience de ces difficultés et a décidé de créer des centres d’expertise en juillet 2004. Ce genre d’unité impliquant de gros investissements et des soins très lourds, le projet fédéral leur apporte un ballon d’oxygène financier, puisque ces lits sont aujourd’hui subventionnés. C’est également le cas pour les 72 autres lits de ce type créés à travers la Belgique.

Une référence européenne

Le CTR fait figure de référence en Europe. "Nous sommes spécialisés dans les handicaps sévères : les tétraplégiques (lésions de la moelle épinière), les polytraumatisés (qui ont plusieurs lésions orthopédiques ou internes), les amputés et traumatisés crâniens, alors que Brugmann possède plutôt une expérience avec les victimes d’AVC", précise le Dr Ventura. Les patients qui intègrent cette unité sont sélectionnés selon leur potentiel de récupération. Car il s’agit de personnes complètement dépendantes et nécessitant beaucoup d’attention de la part des équipes médicales et para-médicales, également sujettes à de fortes pressions psychologiques. Après six mois en moyenne, si le patient n’est pas réveillé, nous le transférons dans une maison de repos qui accueille les lits agréés par le ministère de la santé. Au-delà de cette période, excepté pour les traumatisés crâniens dont l’évolution peut être plus lente, l’espoir s’amenuise. "Si la famille le souhaite et en a la capacité, nous proposons également de placer les patients qui n’évoluent plus à domicile. Mais nous accompagnons toujours les proches dans cette démarche, tant psychologiquement que physiquement", précise Marie-Dominique Gazagnes.

Une expertise reconnue

Quelles sont les chances réelles d’évolution de ces patients ? Selon le Dr Ventura, ceux-ci sont entourés d’une équipe très compétente qui peut tirer parti de chaque signe d’éveil. Ils sont également placés dans les meilleures conditions pour éviter toute complication, tels que des problèmes de déglutition ou respiratoires par exemple. "Heureusement, jusqu’à présent, la majorité de nos patients placés dans cette unité, se sont réveillés ! Nous avons déjà pu assister à de belles histoires, avec des personnes qui se réveillent après plusieurs semaines, c’est quasiment miraculeux". Le Dr Gazagnes estime qu’environ deux patients sur trois, en moyenne, se réveillent, mais que leur rétablissement complet est souvent difficile à envisager.
Selon leur état, les patients qui se réveillent peuvent passer en revalidation classique après 15 jours. Le but : réapprendre progressivement à marcher et à manger de façon autonome, puisque après une telle expérience, il faut souvent tout réassimiler, comme un nouveau-né. L’image du patient qui, comme dans les films de fiction, sort de son coma subitement en se demandant où il est, ne correspond pas vraiment à la réalité ! La phase d’éveil est beaucoup plus impalpable et évolue parfois en dents de scie, avec des phases successives de progrès importants faisant place à une régression, voire à une stagnation de l’état du patient qui peut rester à ce stade-là ad vitam.

Deux centres interdépendants

Situés sur le même campus, même s’ils sont géographiquement séparés et que chacun possède sa spécialité, les unités de comas persistants du CTR et du CHU Brugmann, travaillent en symbiose. "Nous sommes indépendants, mais nous avons toujours été implantés sur le site Horta de l’hôpital Brugmann avec lequel nous avons tissé des liens fonctionnels et d’interdépendance", explique le Dr Ventura. "Nous faisons appel aux compétences médicales du CHUB pour les nombreuses disciplines (pneumologie, ORL, dermatologie) pour lesquelles nous n’avons pas de spécialiste". De son côté, Brugmann fait appel au CTR pour les problèmes d’ordre neuro-urologique, mais également pour son atelier de prothèses, dont la fabrication d’atèles peut s’avérer utile dans le cas de raidissement des membres pendant la période de coma. Une collaboration bien rôdée au service de la vie.

Auteur : Sandra Evrard
Source : Osiris News (n° 1, mai-août 2005)