>>In memoriam Professeur Roger Vokaer

Nous avons récemment appris le décès, à l'âge de 88 ans, de Roger Vokaer, l'un de mes deux Maîtres. Atteint comme chacun par la limite d'âge à 65 ans, Roger Vokaer avait dû abandonner son activité hospitalière, peut-être à regret mais toutefois sans prendre sa retraite : jusqu'il y a peu, Roger Vokaer poursuivait en effet inlassablement ses activités en privé, tout en assumant ses fonctions de membre de l'Académie de Médecine.

C'est en 1966 que je fis la connaissance de Roger Vokaer, nommé depuis trois ans chef du service de Gynécologie-Obstétrique à l'hôpital universitaire Brugmann. Alors encore étudiant en médecine mais intéressé à m'orienter vers cette discipline, j'avais en effet décidé d'assister aussi bien aux cours de Pierre-Olivier Hubinont que de Roger Vokaer : c'est ainsi que j'ai pu apprécier les grandes qualités pédagogiques de Roger Vokaer, dont je n'ai cependant rejoint le staff que beaucoup plus tard, en 1979, comme chef de clinique adjoint. J'ai alors à nouveau grandement profité, en pratique clinique cette fois-ci, de son enseignement remarquable, avant d'être amené à assumer sa lourde succession.

Roger Vokaer fit partie de ces étudiants de l'U.L.B. qui ont dû obtenir leur diplôme de médecin à l'Université de Liège, vu la fermeture de l'U.L.B. pendant la guerre. Sur le plan hospitalier, Roger Vokaer s'est spécialisé puis a exercé à l'hôpital d'Ixelles sous la direction du Dr Straetmans puis à l'hôpital Saint-Pierre sous celle du Pr Snoeck. Engagé dans des travaux de recherche dans le laboratoire d'histologie du Pr Cordier, Roger Vokaer devint en 1953 agrégé de l'enseignement supérieur, défendant une thèse consacrée au "Conditionnement hormonal de l'athrocytose de l'endomètre du rat". Il a en outre acquis une compétence indéniable en anatomie pathologique gynécologique, compétence exploitée tant à l'hôpital qu'au sein de son laboratoire privé. Roger Vokaer, vérifiant lui-même l'exactitude de certain diagnostic d'appendicite aiguë, a longtemps été reconnu comme expert en anatomie pathologique gynécologique, notamment internationalement dans toute la francophonie. Roger Vokaer a participé et organisé lui-même de nombreux congrès. Il est devenu Président d'honneur de la Fédération des gynécologues et obstétriciens de langue française, de même que secrétaire général adjoint honoraire de la Fédération internationale de gynécologie et obstétrique. Il a par contre boudé le Groupement des gynécologues de langue française de Belgique dès sa création, lors de la scission partielle de la Société Royale Belge, par son collègue et concurrent de toujours, P.-O. Hubinont.

Il faut savoir que, lorsque Roger Vokaer succède au Pr Bourg en 1963, le service de gynécologie-obstétrique de l'hôpital Brugmann, est dans un triste état, tant par la qualité et le volume de ses activités que par ses locaux. Roger Vokaer, en quelques années, dynamise ce service et l'amène à près de 1.000 accouchements annuels. Il assure et fait assurer l'anatomie pathologique gynécologique par son élève et collaborateur J.-P. Cattoor, lequel continuera cette activité jusqu'à sa retraite, après intégration au sein du laboratoire d'anatomie pathologique. Roger Vokaer obtient du CPAS la rénovation progressive des diverses salles d'hospitalisation du service de même que du quartier d'accouchements, à tel point que ce sera à un certain moment le service public de gynécologie-obstétrique le plus confortable et le plus luxueux de l'agglomération bruxelloise. Roger Vokaer crée la "Fondation pour la Recherche en Endocrinologie sexuelle et l'étude de la Reproduction humaine", parvient à drainer du mécénat pour développer son laboratoire universitaire de recherches U.L.B., pour faire construire un nouveau pavillon abritant toutes les activités de consultation du service, pour subsidier régulièrement le développement d'entités cliniques de pointe. C'est ainsi que Roger Vokaer crée l'un des premiers laboratoires de radio-immunodosage des hormones sexuelles (lequel a dû être intégré plus tard dans le laboratoire de routine de biologie clinique de l'hôpital) ; de même que le premier centre belge de diagnostic par ultrasons, confié à son collaborateur S. Lévi qui a ainsi pu acquérir une renommée internationale méritée ; et encore l'un des deux premiers centres belges intégrés de sénologie regroupant en une unité de temps et de lieu toutes les techniques et compétences en matière de diagnostic mammaire, en collaboration avec le chef de service de Radiologie, le Pr R. Potvliege.

Roger Vokaer fut également précurseur dans le recours à la péridurale obstétricale, actuellement unanimement adoptée ; à l'époque il dut la faire pratiquer à l'hôpital par les gynécologues eux-mêmes, à défaut de l'obtenir des anesthésistes.

Amateur et expert en œuvres d'art, il en fit aussi bénéficier les murs de son service, à l'étonnement du public.

Roger Vokaer fut ainsi dans notre discipline, un visionnaire, un grand précurseur, un bâtisseur, un meneur d'hommes (et de femmes) fin psychologue, un humaniste à l'activité débordante, un PDG à l'emploi du temps surchargé (l'amenant à induire l'accouchement de ses patientes privées le samedi et le dimanche), tout en gardant une petite place pour la pratique du tennis.

En fin de carrière, Roger Vokaer a voulu concrétiser son expérience et profiter des relations nouées pour éditer un Traité d'Obstétrique, lequel fit autorité dans les pays de langue française, mais n'a malheureusement pas pu être régulièrement actualisé.

Bien sûr, toutes ces réalisations ont suscité de la part de ses collègues, si pas de la médisance, en tout cas de la jalousie et c'est ainsi que Roger Vokaer a dû laisser partir les dosages hormonaux et l'anatomie pathologique gynécologique vers les secteurs ad hoc de laboratoire. Néanmoins les fleurons essentiels à notre spécialité que sont l'échographie gynéco-obstétricale et la sénologie ont pu être conservés et sont restés bien ancrés, encore maintenant, à notre spécialité, générant d'ailleurs l'émulation auprès d'autres institutions.

Seule ombre au tableau, Roger Vokaer n'est pas parvenu à développer en temps utile cet autre fleuron de notre spécialité qu'est la procréation médicalement assistée.

Par contre, l'impact donné par Roger Vokaer à la gynécologie-obstétrique de l'hôpital Brugmann s'est poursuivi et s'est concrétisé par le doublement du nombre d'interventions chirurgicales et par le passage à 2.000 accouchements annuels, dès lors qu'un nouveau bâtiment abrite désormais, en connection directe avec les soins néonataux intensifs de l'H.U.D.E.R.F., notre polyclinique et la maternité. Très logiquement, ce bâtiment a été baptisé "le Roger Vokaer", à sa mémoire.

Auteur : Prof. Marc L'Hermite, service de Gynécologie-Obstétrique du CHU Brugmann
Source : Revue Médicale de Bruxelles (vol. 27 n° 5, septembre-octobre 2006)