En cinq ans, les biologistes
Hanane El Kenz et Christian
Vandenvelde ont créé une
nouvelle banque de sang, en
collaboration avec l'Hôpital
Militaire, et développé une
stratégie qui garantit la qualité
optimale de la fourniture de
produits sanguins.
Ils ne comptent pas en rester
là…
Entre les urgences "adultes" et le paquebot rénové de la Fondation Reine Elisabeth, une coursive discrète se profi le par l'arrière. La porte franchie, pas de sas sécurisé. Ni coffrefort blindé. Juste cette indication: "Banque de Sang et Laboratoire d'Immuno-Hématologie". Bienvenue dans le monde de la transfusion sanguine! Hanane El Kenz, pharmacienne biologiste, et le Dr Christian Vandenvelde, nous guident.
Un centre névralgique
Ouvert 24 heures sur 24, le laboratoire réalise les analyses de compatibilité qui doivent être faites sur le sang du patient avant transfusion. Trois laborantin(e)s (sur une équipe de neuf) travaillent dans le calme. Les demandes affluent pourtant et les tubes de prélèvement sont traités suivant l'urgence. La banque de sang est dans la pièce d'à côté. Les poches de globules rouges sont conservées à + 4°, le plasma congelé à – 40°, et les concentrés de plaquettes agités en permanence à + 20°. La banque alimente les trois sites du CHU Brugmann – les sites Horta, Brien, et Magritte –, ainsi que l'Hôpital Universitaire des Enfants, le CTR et le centre de revalidation Heysel –Brugmann. Il y a cinq ans, il n'y avait pourtant à Brugmann qu'un dépôt de sang…
Comment est né ce projet
d'une banque de sang?
Hanane El Kenz. Au départ, il n'y avait à
Brugmann qu'un dépôt de sang, c'est-à dire
pas de laboratoire d'immuno-hématologie. Toutes les analyses pour vérifier
la compatibilité entre le sang du patient
et le sang à transfuser étaient faites au
CHU Saint-Pierre, qui envoyait ensuite
le sang à Brugmann. Les délais étaient énormes: au minimum 2 heures entre
une demande de produit sanguin et son
arrivée en salle! Aujourd'hui, le délai
normal ne dépasse pas 35 minutes.
Dr Christian Vandenvelde. Sachant qu'il
fallait beaucoup de temps pour qu'une
poche de sang arrive, des chirurgiens faisaient
venir du sang en grande quantité
à chaque fois qu'ils opéraient, en prévision
d'une éventuelle complication. Cette
attitude engendrait des pertes énormes.
Jusqu’à 25% des poches se périmaient
faute d’utilisation : un gaspillage financier
injustifiable éthiquement! Les taux de péremption ont été divisés par dix.
Comment en êtes-vous arrivés à piloter ce projet?
C.V. Je dirige le Service Militaire de
Transfusion Sanguine, un établissement
minuscule mais à la pointe en matière
de transfusion, grâce à sa collaboration
avec le Centre des Grands Brûlés. Et je
travaille en parallèle, à mi-temps, sur le
campus Brugmann comme biologiste
en immuno-hématologie. L'une de mes
missions pour l'Hôpital Militaire consiste à faire en sorte qu'il y ait constamment
des globules rouges à disposition. La
consommation militaire étant très variable
et imprévisible, il nous arrive de
générer en excès des produits sanguins
que nous sommes heureux d'utiliser
pour d'autres patients, essentiellement à Brugmann.
H.E.K. Brugmann profite des hautes technologies
de l'hôpital militaire, et l'armée
bénéficie de notre expertise hors de ses spécialités. Chacun y trouve donc son
compte. J'ai été associée à ce projet par le
Professeur Fondu, mon maître de stage.
Il m'a proposé, lors de ma spécialisation
en biologie clinique, d'aller voir comment
travaillait l'Hôpital Militaire. J'ai mordu à
l'hameçon et je me suis inscrite au DES
inter-universitaire en médecine transfusionnelle. Tout est parti de là.
On imagine qu'une banque de sang ne naît pas en un claquement de doigts…
H.E.K. Un arrêté royal impose désormais aux banques de sang des normes précises. Mais la réflexion qui a mené au développement de notre service l'a devancé. A Brugmann, nous avons commencé par réunir les divers médecins spécialistes de l’hôpital. Nous les avons beaucoup écoutés pour répondre à leurs besoins. Nous avons alors commencé par mettre sur pied un laboratoire d'immuno-hématologie, pour ensuite aboutir à la création d'une véritable banque de sang. Cet essor progressif a permis de former les laborantins. Puis nous avons choisi un service, la maternité, comme unité-pilote. Les analyses préalables aux transfusions étaient effectuées dès qu'une patiente entrait en salle de travail. En cas de nécessité, du sang compatible pouvait alors arriver dans le quart d'heure. L'expérience a été concluante. Nous l'avons donc affinée, puis étendue au quartier opératoire, aux unités de soins intensifs, et enfin à tout le site.
Avez-vous dû convaincre du bien-fondé de ces investissements?
C.V. Il a fallu expliquer que les stocks
sanguins seraient beaucoup mieux gérés
lorsque nous disposerions d'une banque
de sang. Jeter une poche de dérivés sanguins
nous rendait malades! Mais c'était
fréquent. Vu les prix (94,51 euros pour
une poche de globules rouges, 76,86
euros pour une unité de plasma et 391,46
euros par concentré de plaquettes), les
investissements consentis seront rapidement
compensés par l'élimination des
pertes inutiles.
H.E.K. Brugmann ne pourrait plus fonctionner
sans banque de sang, et chacun
en a pris conscience aujourd'hui. Après
5 ans de développement, nous avons
acquis une crédibilité. Nous sommes à
l'écoute, et écoutés. L'intérêt des médecins
et des infirmiers, sans qui ce projet
n'aurait jamais abouti, est clair. Il reste à
entretenir cette collaboration essentielle.
Parallèlement, vous avez développé une véritable stratégie transfusionnelle…
H.E.K. Nous avons mené un projet de nouvelle stratégie de la gestion transfusionnelle, subsidié par le gouvernement pour les hôpitaux belges. Ce projet a permis de démontrer les avantages de la mise en route d'une nouvelle banque de sang. Le progrès s'est marqué sur tous les plans : qualité de service au patient, économies de moyens et des stocks précieux, formation des divers intervenants à la bonne pratique transfusionnelle. Nos techniciens sélectionnent par exemple les globules rouges à transfuser au plus près des caractéristiques (phénotype) du sang du patient pour éviter que celui-ci ne développe des anticorps: c'est de la médecine transfusionnelle préventive. Nous travaillons aussi avec les cliniciens pour les inciter à signaler tout dysfonctionnement, même anodin, afin d'éviter la répétition d'erreurs.
L'avenir appartient-il aux substituts sanguins?
C.V. Des laboratoires de recherche travaillent depuis 30 ans sur des dérivés synthétiques ou modifiés, mais les recherches n'avancent pas. L'avenir de la transfusion appartient plutôt à la purification des dérivés: globules, plaquettes, plasma. La viro-activation est une autre orientation: il s'agit d'empêcher, en les inhibant, que d'éventuels pathogènes, non encore repérés, se développent après transfusion. Cette technique existe pour le plasma et, depuis peu, pour les plaquettes. Un procédé approuvé pour les globules rouges devrait voir le jour d'ici 2 ou 3 ans.
Auteur : Stéphane Druart
Source : Osiris News (n°
7, décembre 2006-février 2007)