>>Simplifier pour équilibrer

Johanne Garbusinski est neurologue réadaptateur. Maman d’une petite Helena, elle partage son activité entre l’hôpital Molière et le CHU Brugmann.

C’est un peu par hasard que Johanne Garbusinski s’est lancée dans les études de médecine, en 1990. « Je ne me sentais pas attirée par la médecine et je craignais que les relations humaines ne me conviennent pas. Par contre, j’étais intéressée par la biologie. A la fin de mes humanités, ne sachant pas vraiment vers quelles études me diriger, je me suis inscrite à Solvay, à la VUB. Mais comme la rentrée y avait lieu plus tard, j’avais décidé d’étudier la médecine pendant un mois, à l’ULB. Et j’y ai terminé mes études. Mon père a tenté de me dissuader d’entreprendre ces études car des femmes médecins lui rapportaient que l’exercice de la profession rendait impossible la vie des femmes. »

La réadaptation neurologique

Alors qu’elle étudiait la médecine, la jeune femme entendait enchaîner avec une spécialisation en gériatrie, un choix guidé par son attrait pour les soins chroniques, multidisciplinaires et globaux. « Pour me former en gériatrie, j’avais estimé nécessaire de faire un stage de neurologie. J’ai beaucoup apprécié ce stage. Le temps passant, la neurologie m’attirait de plus en plus. Je pensais que la neurologie me permettrait d’avoir une vie moins stressante et je me sentais davantage capable de maîtriser une spécialité annexe à la médecine interne que la médecine interne dans son ensemble. Ces deux aspects ont influencé mon choix pour une spécialisation en neurologie. » Spécialisation que l’assistante a principalement suivie à Erasme, entre 1997 et 2002. « Par la suite, je me suis encore spécialisée, durant deux ans, en neurologie-réadaptation. » Elle accomplira cette spécialisation au CHU Brugmann, avec une interruption de six mois pour donner naissance à sa fille, Helena, en 2003.

Recherche clinique en Afrique

En 2000, Johanne Garbusinski partait en Afrique pendant un an, dans le cadre de sa spécialisation, pour développer un projet de recherche clinique sur les accidents vasculaires cérébraux en zone subsaharienne. « Cette année a été complètement reconnue dans ma formation, car elle a abouti à une publication. L’expérience était très intéressante. N’ayant pas de possibilités d’examens diagnostics, j’ai dû me recentrer sur la clinique pure. J’ai pu observer l’évolution des patients atteints de thromboses dans un contexte purement familial. Cela m’a permis d’appréhender l’évolution de cette maladie quand il n’y a pas de réadaptation et de mieux apprécier les effets de notre intervention. »

Concilier

Sa formation terminée, la neurologue a d’abord travaillé pendant deux ans dans un service de réadaptation, à la clinique du Parc Léopold de Bruxelles, tout en ayant une activité au CHU Brugmann. « Je souhaitais augmenter mon horaire de travail sans me disperser entre plusieurs hôpitaux. En mai 2007, l’hôpital Molière, qui ouvrait un service de réadaptation neurologique, m’en a proposé la responsabilité en me permettant de constituer l’équipe de travail. J’ai accepté cette offre qui m’intéressait d’autant plus que l’hôpital se trouve à côté de mon domicile et de l’école de ma fille.» Aujourd’hui, Johanne Garbusinski partage son activité entre le CHU Brugmann, où elle fait des consultations en neurologie classique tout en se spécialisant dans la prise en charge de la spasticité, et l’hôpital Molière où elle s’occupe uniquement de la réadaptation neurologique.

Séparée de son compagnon, Johanne Garbusinski a veillé à organiser sa vie de manière à concilier au mieux son travail et son rôle de maman. « Le fait d’assumer seule la garde de ma fille une semaine sur deux a impliqué certaines adaptations sur le plan professionnel. J’ai simplifié ma vie en partageant mon activité entre deux hôpitaux. Je me fais aider deux jours par semaine pour aller chercher ma fille à l’école. Le reste du temps, je me débrouille pour la déposer et la reprendre à l’école. Le mercredi après-midi, je m’occupe de ma fille. Je pense avoir trouvé un créneau compatible avec une vie familiale. »

Une spécialité humainement riche

Johanne Garbusinski est la seule neurologue réadaptateur à l’hôpital Molière. A cet égard, elle attire l’attention sur les problèmes que connaîtrait le service si elle était enceinte, personne ne pouvant actuellement reprendre sa fonction au pied levé. « Peu de médecins souhaitent travailler en réadaptation neurologique parce qu’il s’agit d’une médecine chronique et que les cas y sont souvent considérés comme désespérés. Cependant, les relations avec les patients sont très humaines et nous ne sommes pas dans une médecine aiguë qui demande de gérer des situations d’urgence. Les patients qui arrivent dans le service connaissent, pour la plupart, de graves problèmes, mais nous avons le temps de les analyser d’une manière beaucoup plus profonde que ne peuvent le faire les spécialités aiguës. » Dans un premier temps, le travail de la spécialiste consiste à admettre les patients et à guider leur récupération neurologique. « Nombreux sont les patients qui vivent notre présence comme une aide, ce qui est très valorisant pour nous. Nous parvenons effectivement à augmenter l’autonomie de certains patients. Nous veillons à mettre les patients que nous ne pouvons pas suffisamment aider dans des conditions confortables, en organisant un placement en collaboration avec la famille. Nous tâchons de faire en sorte que le placement soit vécu le mieux possible, et que la famille ne se sente pas trop culpabilisée par ce placement. »

Le Dr Garbusinski exerce un travail à la fois enrichissant et lourd sur le plan humain. « Les patients pensent parfois que nous allons les revalider complètement, alors que notre rôle consiste aussi à leur expliquer nos limites face à l’aide que nous pouvons leur apporter. Ainsi, nous cheminons avec eux pour qu’ils acceptent leur déficit et parviennent à faire un travail de deuil par rapport à leur état de santé. Généralement, nous y parvenons. Nous devons parfois jouer le rôle de gendarme, mettre des limites aux patients et aux familles. Face à la maladie d’un proche, il arrive que la famille ne tienne pas le coup et décompense. Certaines familles n’acceptent pas la détérioration de l’état d’un des leurs. Dans ce cas, nous sommes là pour tâcher d’apaiser les choses. »

Dévalorisation et féminisation

La neurologue pense que la dévalorisation de la médecine est liée au fait que l’accès à la médecine est devenu un droit tellement élémentaire que les patients en arrivent à lui manquer de respect. « Les jeunes patients n’ont pas le même comportement que les patients plus âgés. Est-ce du non respect ou est-ce lié à l’évolution des mentalités ? La médecine est moins patriarcale, les relations entre patients et médecins sont plus égalitaires et les évolutions éthiques rendent le patient plus responsable. Rien d’étonnant à ce que le patient s’oppose parfois au médecin et n’accepte pas toujours ses propositions. Les problèmes surgissent lorsque le malade ou sa famille n’acceptent pas les limites de la médecine, ainsi que celles de hommes et des femmes qui la pratiquent. »

Enfin, le Dr Garbusinski considère la neurologie comme une discipline qui convient très bien aux femmes, tout en déplorant la trop grande disponibilité qui est généralement exigée des médecins. « La continuité des soins ne peut pas imposer de travailler jours et nuits, ainsi que les week-ends. Si l’exercice de la médecine était mieux organisé, elle serait parfaitement compatible avec la féminisation. Mais il est tellement demandé en terme de disponibilité qu’il est parfois difficile d’équilibrer vie familiale et travail. »

Auteur : Colette Barbier
Source : Le Journal du Médecin (n° 1908 du 04/04/2008) - ©Lejournaldumedecin.com

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