Après avoir multiplié les expériences pendant sa spécialisation en chirurgie digestive, Viviane Thill a été engagée au CHU Brugmann, en 2005, au sein d’une équipe essentiellement masculine. Sa présence répond notamment à la demande d’une population féminine et de patientes maghrébines soucieuses d’être traitées par une chirurgienne.
Viviane Thill a grandi au Luxembourg et est venue en Belgique en 1992, pour y étudier la médecine, à l’ULB. «A la fin de mes humanités, je souhaitais me diriger vers une profession à laquelle je pourrais consacrer du temps, qui m’enrichirait sur le plan personnel, tout en me rendant utile à autrui. Après réflexion, la médecine correspondait bien à mes exigences ainsi qu’à ma personnalité. Considérant mes études en latin-sciences et mes résultats scolaires, ma famille m’a encouragée dans cette voie. Elle a toujours été présente dans les moments difficiles et m’a aidée à faire des choix.»
Emprise maximale
C’est en avant-dernière année de médecine, à l’occasion de stages, que l’étudiante a choisi de s’orienter vers la chirurgie. «Au début, je ne voulais pas faire la chirurgie, car ce métier reste assez masculin et plutôt dur. Au premier abord, cette discipline m’a surprise. Elle m’a finalement séduite car elle offre une emprise maximale au chirurgien, aussi bien dans la prise en charge des patients qu’au niveau de l’influence qu’il peut avoir sur la maladie.»
Viviane Thill a commencé sa spécialisation en 1999, au CHU Brugmann. Elle s’est ensuite formée à Montpellier pendant un an. L’année 2002 la voyait de passage au CHU Tivoli de La Louvière. «En 2003, j’ai voulu vivre une nouvelle expérience et je suis passée dans le réseau UCL, à la Clinique Saint-Jean. Par la suite, j’ai fait six mois de formation à l’Hôpital Civil de Strasbourg et j’ai terminé ma formation à l’hôpital Erasme, en 2005. J’ai pu aller me former à l’étranger car je n’avais pas de vie familiale. »
Confiance et sincérité
Depuis septembre 2005, la chirurgienne travaille au CHU Brugmann, au sein d’un service qui compte cinq chirurgiens digestifs. Viviane Thill y est la seule femme. «J’ai été engagée au CHU parce que j’avais multiplié les expériences au cours de ma spécialisation, mais aussi, en partie, parce que je suis une femme. Ma présence apporte une autre dimension à l’équipe. Le chef de service, le Dr Pierre Mendes da Costa, souhaitait m’engager dans son service et, par conséquent, m’a suivie pendant toute la durée de ma formation.» Le CHU compte une patientèle maghrébine importante, en demande d’être traitée par une femme, notamment dans le domaine de la chirurgie proctologique. «Ma consultation comprend donc un certain pourcentage de patientes. Le fait d’avoir affaire à une chirurgienne les met plus à l’aise.»
L’activité de la spécialiste se répartit en consultations, avis, suivi post-opératoire, activité chirurgicale opératoire. Elle fait des gardes rappelables cinq à six fois par mois, et deux gardes mensuelles sur place. Au niveau des rappels de garde, la chirurgie digestive est la plus prenante parmi toutes les autres spécialités. «Je consacre beaucoup de temps à mon travail car, en chirurgie, il est impossible de s’arrêter à midi pour reprendre le travail deux heures plus tard. Les programmes s’enchaînent jusqu’à 16 heures. Les opérations terminées, il faut encore rendre visite aux patients. Je suis presque toujours rappelée pendant mon tour de garde. Toutefois, il faut aussi pouvoir s’arrêter, déléguer, prendre des congés et ne plus penser aux patients. Il n’est pas toujours évident de faire la part des choses, car je me sens parfois très impliquée envers certains patients.» Impliquée, notamment parce que la chirurgienne aime la relation avec ses patients et entend développer avec ceux-ci un rapport basé sur la confiance mutuelle et la sincérité.
«Je prends le temps d’expliquer au patient comment va se dérouler l’opération, souvent à l’aide d’un dessin pour le mettre plus à l’aise. J’apprécie qu’il me questionne et qu’un dialogue s’établisse. Une relation de confiance et un bon contact sont essentiels: cela facilite les suites de l’opération et permet de mieux gérer les complications éventuelles.»
Succès de la chirurgie bariatrique
Viviane Thill et son confrère, le Dr Christian Simoens, développent la chirurgie de l’obésité, la demande dans ce domaine particulier ne cessant de croître. «Nous avons tous les deux une consultation hebdomadaire de l’obésité. La chirurgie bariatrique se révèle efficace dans certains cas, mais il n’existe pas de méthode miracle... sinon, nous serions tous minces et tous les chirurgiens appliqueraient la même méthode. Dans ce domaine, nous devons également prendre le temps de discuter avec le patient pour adapter le traitement le plus adéquat possible (anneau gastrique ou sleeve gastrectomie).»
La chirurgie digestive à deux
Le Dr Thill partage sa vie avec un chirurgien digestif. Avoir en commun la chirurgie permet à chacun des partenaires de mieux comprendre et d’accepter les exigences liées au métier. Cette compréhension mutuelle est d’autant plus précieuse que les contraintes et les horaires rendent l’exercice de la chirurgie, ainsi que la conciliation entre le travail et la vie de famille plus malaisés pour les femmes. « Notre vie n’est pas toujours simple à organiser. Ceci dit, le fait de consacrer beaucoup de temps à mon travail ne me pose pas de problème. Je n’aime pas faire les choses à moitié. Lorsqu’un patient ne va pas bien, je n’hésite pas à téléphoner à mon compagnon pour le prévenir de mon retard.» Malgré l’exigence de son métier, la jeune femme a l’intention de fonder une famille. «Beaucoup de consoeurs chirurgiennes ont des enfants. Je pense que l’exercice de la chirurgie digestive est compatible avec une vie de famille. Je devrai probablement revoir mon organisation car il n’est pas possible, pour une chirurgienne, de travailler à temps plein tout en ayant une vie de famille et des enfants dont il faut s’occuper. »
Mélange des genres
Viviane Thill ne se positionne pas nécessairement en faveur de la féminisation. Selon elle, le plus important est d’exercer un métier qui plaît, de bien le faire et de respecter les différences et les spécificités propres à chaque sexe. «Or, nous nous dirigeons actuellement vers une uniformisation, un mélange des genres. On attend des hommes et des femmes qu’ils soient capables d’accomplir des tâches identiques. Selon moi, il doit y avoir des différences entre les hommes et les femmes. Il est normal que les femmes ne soient pas douées dans certains domaines, alors que les hommes le sont. Inversement, les femmes sont capables de réaliser certains actes pour lesquels les hommes se révèlent moins habiles. C’est une bonne chose. Je trouve injuste que des femmes, qui travaillent autant que les hommes, ne puissent pas accéder à certains postes. Ceci dit, il ne faut pas non plus en arriver à bouleverser totalement l’organisation du travail afin de permettre aux femmes de rester dans un domaine particulier. Chacun doit faire des choix dans la vie: si une femme ne doit pas avoir plus de facilités qu’un homme, elle ne peut pas, non plus, faire l’objet de discriminations.»
Jetant un regard sur le chemin parcouru par les femmes dans le domaine de la médecine, la chirurgienne rappelle qu’auparavant, les femmes médecins étaient souvent célibataires. «Elles étaient aussi plus dures que les hommes. De nos jours, l’aménagement du temps de travail permet aux femmes d’avoir une vie de famille et d’être elles-mêmes. D’une manière générale, elles doivent néanmoins toujours faire leurs preuves.»
Auteur : Colette Barbier
Source : Le Journal du Médecin
(n°
1909 du 08/04/2008) - ©Lejournaldumedecin.com
Service de Chirurgie digestive, cœlioscopique et thoracique.