Peut-on prévenir la pré-éclampsie sévère en donnant de l'aspirine en début de grossesse? C'est la question à laquelle le CHU Brugmann a contribué à répondre. À la clé, des résultats stupéfiants qui ont déjà modifié la prise en charge des patientes!
L'équipe du Pr Jacques Jani, chef de service de Gynécologie Obstétrique, a participé à l'étude européenne ASPRE sur la prévention de la pré-éclampsie, dont les résultats sont parus en juin 2017 dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine. Osiris News l'a rencontré.
Osiris News : Qu'est-ce que la pré-éclampsie ?
Pr Jacques Jani : C'est un état qui survient pendant la deuxième partie de la grossesse, après la 20e semaine. Elle se définit par une hypertension importante et la présence de protéines dans les urines. Mais elle peut être accompagnée d'autres troubles variables au niveau du sang, du foie, du cerveau… Il s'agit d'une des causes principales de complications graves et de mortalité chez la femme enceinte et son bébé.
Comment peut-on la traiter ?
Ces symptômes sont en fait dus à une mauvaise implantation du placenta dans l'utérus en tout début de grossesse. Le seul traitement consiste donc à faire accoucher la patiente et extraire le placenta. Lorsque la pré-éclampsie apparaît à terme, entre 37 et 40 semaines, cela ne pose pas de soucis. Mais lorsqu'elle se développe avant terme, c'est beaucoup plus grave car le bébé est grand prématuré. Pour éviter ces situations dramatiques, il faudrait agir en début de grossesse chez les femmes à risque de pré-éclampsie sévère pour améliorer l'implantation du placenta et prévenir l'apparition de la pré-éclampsie.
Est-il possible de détecter les femmes à risque ?
Oui, grâce à un algorithme mis au point par la Fetal Medicine Foundation à Londres. Ce «calculateur de risque» prend en compte les antécédents de la maman, sa tension, l'échographie Doppler utérin, la présence de marqueurs dans son sang... Il s'agit d'un test combiné similaire à celui de la trisomie 21. Il a été validé en 2013 grâce à une étude de grande envergure (60.000 patientes) qui a prouvé qu'on était capable, entre 11 et 13 semaines d'aménorrhée, de bien repérer les patientes à risque de pré-éclampsie sévère.
En quoi consistait l'étude à laquelle vous avez participé ?
Nous devions tester l'efficacité, chez les femmes dépistées à risque de pré-éclampsie sévère, de la prise d'aspirine de la 11e à la 36e semaines de grossesse, pour prévenir la pré-éclampsie. Et les résultats ont été spectaculaires! L'incidence de la pré-éclampsie sévère (survenant avant 37 semaines) est réduite de 60% et celle de la très sévère (avant 34 semaines) de 80%! Les implications sont énormes! Si on dépiste et on traite les femmes à risque, on peut réduire de manière drastique la mortalité et les séquelles chez les femmes enceintes et leurs bébés!
Les effets préventifs de l'aspirine étaient-ils déjà connus ?
Des dizaines d'études avaient déjà été réalisées mais les résultats n'ont jamais été aussi convaincants. Cela s'explique par la méthode utilisée, qui a été optimisée: une meilleure sélection des patientes à risque grâce à cet algorithme, une plus forte dose d'aspirine, ainsi qu'une prise le soir pour plus d'efficacité. Enfin, c'est la première fois qu'une étude sur le sujet était réalisée à si grande échelle: environ 27.000 patientes ont été recrutées dans 12 centres européens, grâce au financement de la Commission Européenne. Il s'agissait en outre d'un essai randomisé (en double aveugle), le must des essais cliniques.
Qu'implique la participation à une telle étude ?
L'inclusion des patientes a pris moins d'un an mais il a fallu, avant cela, des années de préparation, ainsi que de nombreux contrôles de qualité. Nous avons dû démontrer nos capacités de mesure dans les règles de l'art de la pression artérielle, du Doppler… Le fait d'avoir été sélectionnés dans une étude comme celle-ci, publiée dans l'un des journaux médicaux les plus prestigieux au monde, démontre notre capacité à mener à terme une étude très rigoureuse et nous valide vraiment en tant qu'hôpital universitaire. D'autant que nous avons été très bons élèves au niveau du recrutement des patientes et du suivi. D'ailleurs, depuis que l'étude est finie, nous sommes déjà engagés dans deux autres grands essais randomisés.
Auteur : Barbara Delbrouck
Source : Osiris News
(n°
48, décembre 2017 - février 2018)