>>Le métier d'infirmier : hier, aujourd'hui et demain

Anita ClemensKarin Keppens

Dans un paysage hospitalier qui change chaque jour, comment évolue le métier d'infirmier? Deux membres du CHU Brugmann et un de l'HUDERF ont accepté de donner leur avis sur le rôle de l'infirmier hier et aujourd'hui, sa place au sein d'une équipe de soins, son avenir face à la pénurie, ainsi que sur l'avenir global de cette profession.

Le monde hospitalier évolue à toute vitesse. Et avec lui, le métier d'infirmier n'a cessé de se réinventer. Trois membres du personnel du CHU Brugmann et de l'HUDERF ont vécu et vivent encore ces grands changements. Nous leur avons donné la parole.
Parmi eux, Anita Clemens, à la retraite depuis 2012, a débuté sa carrière d'infirmière au CHU Brugmann en 1971. Depuis, elle a gravi les échelons jusqu'à devenir Directrice du Département Infirmier et Paramédical de 2008 à 2012. C'est Karin Keppens qui a repris ce précieux flambeau, après avoir occupé le poste d'adjointe du Département Infirmier et Paramédical en 2009, et après avoir débuté sa carrière d'infirmière dans ce même hôpital en 1984. Deux ans plus tard, en 1986, Jan Foubert rejoint l'HUDERF, lors de son ouverture, comme infirmier aux Soins Intensifs. Il est Directeur du Département Infirmier depuis 2009.

Infirmier : quel rôle aujourd'hui ?

En 2008, Anita Clemens confiait à Osiris News: «L'infirmier idéal se doit d'être compétent, autonome, créatif et assertif dans un cadre de travail qui ne cesse de changer». Un objectif atteint aujourd'hui? «C'est un idéal, donc on ne peut pas l'avoir atteint, mais il faut le garder à l'esprit pour guider ses actions au quotidien», commente l'infirmière à la retraite. «À mes débuts», ajoute Jan Foubert, «on tuait la créativité de notre génération. On devait exécuter et connaître.» Aujourd'hui, le rôle de l'infirmier semble davantage se rapprocher de ce que Jan Foubert prédisait en 2010: coordonner. «On n'y est pas encore tout à fait, mais l'infirmier doit encore évoluer dans ce sens», réagit-il.

Le métier d'infirmier(e)

Se former pour éviter le burn-out

Autre grande évolution: la formation. Pour le Directeur du Département Infirmier de l'HUDERF, en 2010, «l'expertise via une formation permanente devait être développée». Chose faite puisque, depuis, une fiche de formation permanente, un programme de formation interne et externe et de mini-symposiums ont été instaurés. «Selon une étude sérieuse, la formation permanente est un point fort contre le burn-out. Elle est donc primordiale», ajoute Jan Foubert.

L'unité de soins, cette petite entreprise

«Aujourd'hui, l'unité de soins est une petite entreprise en soi», constate Anita Clemens. Et le rôle de chef d'entreprise est attribué à l'infirmière en chef, un poste qui ne dépend plus uniquement de l'expertise relative aux soins: «Avant, les infirmiers spécialisés devenaient chefs. Maintenant, en termes managériaux, nous faisons la distinction entre l'expertise et la gestion d'une équipe», explique Karin Keppens.
Au sein de cette petite entreprise, le positionnement de l'infirmier par rapport au corps médical reste mal défini. «Les infirmiers ont toujours réalisé des activités à la place des médecins pour le patient», constate Anita Clemens. «L'instauration de la "liste des actes infirmiers" les a aidés à se positionner par rapport à certaines demandes médicales, mais a contrario, il y a eu peu de solutions pour soulager l'infirmier de certaines tâches et une certaine ambivalence de celles-ci pour s'en décharger.» Comment y remédier? D'après Jan Foubert, en exploitant davantage les métiers de support de l'infirmier.
Le rôle du patient évolue lui aussi. «On parle de plus en plus de "patient empowerment" (autonomie du patient). Le patient adopte lui aussi un regard critique sur ses propres soins et devient un réel partenaire», remarque Karin Keppens qui tient à entretenir cette belle relation grâce à une communication professionnelle: «Au CHU Brugmann, nous recourons à la communication SBAR, utilisée par les sous-marins nucléaires américains. Ce modèle ne laisse pas de place à l'à-peu-près. C'est une communication structurée et efficace, idéale pour le patient».

Infirmières

Une pénurie qui dure et qui dure

Entre 2019 et 2029, avec la génération des baby-boomers qui partent à la retraite et le besoin croissant en soins de la population vieillissante, les hôpitaux auront besoin de 11,712% de soignants en plus. Or, la durée des études s'allonge d'un an (passant de 3 à 4 ans), et il y a trop peu d'écoles d'infirmiers. Sans nul doute, la pénurie de personnel soignant est un grand défi que devront relever les Directeurs de Départements Infirmiers.
«À mon époque», souligne Anita Clemens, «cette pénurie existait déjà!» Et les solutions étaient sensiblement les mêmes qu'actuellement: «Il y a eu la création de structures extérieures aux hôpitaux, qui fournissaient du personnel en contrats à durée limitée et étaient l'embryon des agences d'intérim. Ensuite, nous avons dû recourir à un recrutement à l'étranger, en suivant des règles éthiques très strictes».
Aujourd'hui, pour survivre à la pénurie, d'après Jan Foubert, «il faut repenser le métier, notamment en donnant à l'infirmier la possibilité de davantage coordonner pour déléguer certaines tâches
Autre objectif à atteindre: fidéliser les stagiaires puisqu'ils sont environ 400 par an à l'HUDERF.
Pour Karin Keppens, derrière cette pénurie, se cache un apprentissage: «La problématique de la pénurie est très intéressante car cela nous invite à repenser notre relation aux stagiaires, à la manière de les attirer, de les fidéliser, de les accompagner une fois embauchés, etc.»

Et demain ?

Dans 20 ans, comment travailleront les infirmiers? «Le grand défi de demain», d'après Anita Clemens, «sera d'accepter que l'infirmier ne pourra pas continuer à tout faire, partout et tout le temps, dans ce contexte de pénurie. L'organisation des soins et le paysage hospitalier doivent être revus au gré des évolutions démographiques et sociétales aussi bien des patients que des soignants
Côté innovation, Jan Foubert souligne la possible robotisation du métier et, au minimum, la forte informatisation de celui-ci: «La robotisation de nos métiers pourrait nous aider à combler la pénurie». Ces innovations mettront-elles en péril les contacts humains de l'infirmier? «Jamais!», clame Jan Foubert, «Malgré l'informatisation, l'humain ne perdra jamais du terrain. On maintiendra toujours le contact avec le patient, pendant les soins notamment. Il faut simplement arrêter d'envisager les soins et les contacts humains séparément.» Enfin, pour Karin Keppens, «dans les 20 ans à venir, le niveau de développement d'expertise des infirmiers va augmenter. Ils seront de plus en plus spécialisés et autonomes et seront davantage partenaires du patient».

:: Polyvalence et esprit critique pour des soins intégrés :: Entre les débuts d'Anita Clemens comme infirmière (1971) et aujourd'hui, le rôle et l'attitude de l'infirmier ont bien changé. À commencer par la polyvalence qui est de plus en plus requise pour cette fonction. «En Belgique, l'infirmier doit tout faire, contrairement à d'autres pays où il peut davantage déléguer», remarque Jan Foubert.
Être partout, tout le temps pour faire de tout, Karin Keppens n'y est pas favorable: «La polyvalence est un réel piège pour le personnel infirmier. Ils ne peuvent pas tout faire, au risque de mal faire». D'après elle, deux solutions s'offrent aux infirmiers: la substitution de fonction, en déléguant davantage vers des fonctions d'assistance, et la différenciation de fonctions, permettant au personnel de se spécialiser. Le métier évolue de «soins à la tâche» vers des «soins intégrés». «Selon une étude, l'emploi du temps des infirmiers se répartit en 40% de soins directs et 60% de travail administratif et logistique. En déléguant des tâches logistiques ou des soins de base, l'infirmier peut se concentrer sur les soins plus complexes», note Jan Foubert.
Autre grande évolution positive: l'esprit critique dans l'exercice de la fonction d'infirmier. Le meilleur exemple est le dossier informatisé grâce auquel l'infirmier est amené à travailler de manière réflexive plutôt que de manière automatique. «Avec le temps, l'infirmier a acquis plus de responsabilités dans la prise en charge du patient. Avant, un infirmier était un coeur, puis il est devenu une main. Aujourd'hui, son rôle consiste à réunir le coeur, la tête et les mains», conclut Karin Keppens.

Auteur : Lauranne Garitte
Source : Osiris News (n° 50, juillet 2018 - avril 2019)