La "maladie à corps de Lewy" est une démence neurodégénérative fréquente mais sous-diagnostiquée. Troisième plus importante cause de démence après la maladie d'Alzheimer et les infarctus du cerveau, elle n'est donc certainement pas une maladie rare. Pourtant, la plupart des gens n'en ont jamais entendu parler...
Il s'agit en outre d'une maladie complexe car elle affecte différents systèmes du système nerveux et peut donc susciter un large éventail de symptômes : troubles de la pensée et de la mémoire, fluctuations mentales, désorientation, hallucinations, délires, comportement nocturne étrange résultant de troubles du sommeil paradoxal, parkinsonisme et autres troubles du mouvement, fluctuations de la pression sanguine, crises d'anxiété et même constipation et problèmes urinaires.
De plus, les patients atteints de cette maladie sont particulièrement sensibles aux effets secondaires des médicaments souvent prescrits pour traiter nombre de ces symptômes. Par conséquent, le traitement médicamenteux est souvent en équilibre sur une corde raide.
Alors, la maladie à corps de Lewy, une démence oubliée ?
Pas par le CHU Brugmann en tout cas, où une consultation spécifique existe (rendez-vous via l'hôpital de jour gériatrique).
Son responsable, le Dr Kurt Segers (service de Neurologie), a d'ailleurs écrit un livre sur le sujet, intitulé "La démence oubliée : comprendre la maladie à corps de Lewy", et dont la version française est disponible depuis mi-octobre 2020 aux Éditions Politeia…
« My brain needs a reboot. », Robin Williams (1951-2014)
La maladie à corps de Lewy (MCL) est la troisième cause de démence après la maladie d'Alzheimer et la démence vasculaire. La MCL est donc bien un diagnostic, tandis que la « démence » ne l'est pas. Des personnes souffrent de démence à partir du moment où leurs problèmes cognitifs (mémoire, attention, capacités de réflexion) sont devenus tellement importants qu'ils ne peuvent plus fonctionner de façon autonome.
Environ 15 à 20 % des personnes souffrant de démence ont cette maladie apparentée à la maladie de Parkinson. On peut également retrouver une accumulation de corps de Lewy dans les cerveaux de 40 % des personnes qui souffrent de la maladie d'Alzheimer. La MCL est donc loin d'être une maladie orpheline ! Pourtant, la plupart des gens n'ont jamais entendu parler d'elle. Même des médecins qui ne sont pas spécialisés dans la matière la connaissent peu, voire pas du tout.
Faites le test vous-même et cherchez le mot « Alzheimer » sur Google. Je l'ai fait aujourd'hui (17 août 2018) et j'ai obtenu 83 millions de résultats.
Maintenant, refaisons la même chose avec « Lewy bodies » et « Lewy body ». J'ai obtenu 654.000 résultats, soit 127 fois moins de pages web. Ce qui est disproportionnellement peu au vu de l'occurrence de la MCL. Le résultat est probablement influencé par le fait que le terme « Alzheimer » est identique dans la plupart des langues, tandis que « bodies » ne l'est bien sûr pas. Sur Pubmed, le site web utilisé par les médecins pour consulter des articles scientifiques, on retrouve également cette différence, bien qu'elle soit moins prononcée. Il n'y a que 6.783 articles qui font référence aux corps de Lewy, pour 107.965 qui mentionnent le mot « Alzheimer », soit 16 fois moins.
Ce relatif anonymat a forcément un impact sur la reconnaissance de la maladie. Une étude de l'organisation américaine de défense des droits des patients atteints de la MCL a démontré que sur 962 patients interrogés, 68 % avaient vu plus de trois médecins (et pour 15 %, plus de cinq médecins) avant que la maladie ne soit correctement diagnostiquée.
Dans la plupart des cas, les patients recevaient initialement un autre diagnostic, souvent une autre cause de démence comme la maladie d'Alzheimer, la démence fronto-temporale ou la démence vasculaire. Parfois, la maladie était prise pour un problème psychiatrique comme la dépression, les troubles bipolaires, voire la schizophrénie. Il n'est pas rare qu'un an et demi soit nécessaire pour établir le bon diagnostic.
Même Robin Williams, l'acteur américain qui s'est suicidé en 2014 et qui, selon sa veuve, présentait tous les signes et symptômes physiques et mentaux de la maladie – à part peut-être les hallucinations – n'a pas reçu au cours de sa vie un diagnostic correct. La maladie n'a été constatée que lors de son autopsie. Celle-ci a montré un nombre époustouflant de corps de Lewy dans son cerveau. Le décès de l'acteur et le diagnostic post-mortem ont contribué à sortir la maladie de son relatif anonymat, en tout cas dans le monde anglo-saxon.
Ce n'est donc pas vraiment une surprise de constater que les personnes qui s'occupent quotidiennement des patients avec une MCL – les aidants proches – se sentent souvent incomprises, plus que les aidants proches des patients avec la maladie d'Alzheimer pour lesquels la vie est toutefois loin d'être facile. En Belgique, il n'y a pas d'organisation spécifique pour les patients atteints de la MCL, même s'ils peuvent toujours s'adresser aux organisations pour la maladie de Parkinson et la maladie d'Alzheimer. La peur de ne pas bien affronter les problèmes et de faire des erreurs, par manque d'information et d'échange avec d'autres personnes dans la même situation, est une source de stress qu'on ne retrouve pas chez les aidants proches dans d'autres causes de démence. Par exemple, dans le cas de la maladie d'Alzheimer, on connaît déjà souvent une ou plusieurs autres personnes qui ont eu cette maladie, ce qui permet de mieux se préparer au futur.
Il existe très peu de littérature consacrée à la MCL. Ce livre tente de fournir des informations à la fois compréhensibles et scientifiquement correctes à toute personne qui en recherche. En premier lieu, aux patients et à leurs proches, mais également au personnel infirmier, aux étudiants en médecine, aux médecins généralistes et à tous ceux qui ont des contacts – professionnels ou autres – avec des patients atteints de la MCL.
Certains risquent de trouver la matière compliquée tandis que d'autres, qui ont déjà acquis un certain nombre de connaissances, ne le trouveront pas assez approfondi. Pour ces derniers, j'ai ajouté quelques références vers la littérature scientifique (souvent anglophone) qui m'ont guidé lors de l'écriture de cet ouvrage. Je recommande aux premiers de lire le livre du début à la fin (ce qui est finalement la façon habituelle de lire un livre…) même si j'ai essayé de rendre chaque chapitre lisible séparément.
La MCL est une maladie très complexe car elle touche autant de composantes différentes du système nerveux qu'elle peut sortir toute une gamme de symptômes de son chapeau noir : des problèmes de mémoire et de réflexion, des fluctuations mentales, de la désorientation, des hallucinations et des phases de délires, des comportements nocturnes bizarres suite aux perturbations du sommeil REM - parkinsonisme et d'autres mouvements anormaux, des fluctuations de la tension artérielle, des crises d'angoisse et même de la constipation et des problèmes urinaires.
De plus, les patients avec une MCL sont souvent très sensibles aux effets secondaires de toute une classe de médicaments qu'on appelle les neuroleptiques ou antipsychotiques qui sont souvent (lisez : « trop souvent ») prescrits pour traiter nombre de ces symptômes. Traiter les patients atteints d'une MCL, c'est un peu marcher comme un funambule sur une corde. À chaque instant, il faut bien identifier le symptôme qui pose problème, essayer de trouver sa cause, réfléchir s'il nécessite un traitement pharmacologique et si oui, avec quel médicament et selon quelle dose et quelles seront les répercussions du traitement sur les autres manifestations de la maladie.
Un traitement du parkinsonisme peut provoquer des hallucinations, tandis qu'un traitement des hallucinations peut provoquer ou aggraver le même parkinsonisme. Pour cette raison, ce livre n'a pas de chapitre dédié au traitement. Vous trouverez le traitement d'un symptôme dans le chapitre dédié au sujet, car chaque symptôme mérite son traitement spécifique.
Ce livre n'est absolument pas une invitation à l'automédication ni à l'arrêt de prise de médicaments de votre propre initiative. Les patients avec une MCL sont souvent plus anxieux que d'autres patients (cette anxiété est simplement un symptôme très caractéristique de la maladie) et ont davantage tendance à vouloir modifier eux-mêmes leur traitement par peur des effets secondaires. De plus, ils présentent souvent des fluctuations importantes de leur état, que cela soit au niveau mental ou moteur. Ils arrêtent, augmentent ou diminuent leurs médicaments selon qu'ils ont passé une bonne (« Je me sentais tout d'un coup beaucoup mieux) ou une mauvaise journée (« Ça va moins bien, donc le médicament ne fonctionne pas ou me donne des effets secondaires »). Les patients peuvent même développer des idées délirantes autour du traitement ou de la personne qui les donne (« L'infirmier à domicile essaie de m'empoisonner car il désire mon épouse, tandis que cette dernière convoite son appartement à Torremolinos. »).
En outre, pour des raisons qui ne sont pas encore connues, les médecins eux-mêmes ont un risque plus important d'accumuler des corps de Lewy dans leur cerveau ! Des médecins spécialisés dans la démence rencontrent dès lors régulièrement des collègues atteints de la maladie, et s'il y a bien une chose que les médecins détestent, c'est de consulter un autre médecin.
Ils préfèrent gérer leur traitement eux-mêmes.
Parlez donc à votre médecin de l'opportunité de changer votre traitement si vous trouvez des arguments dans ce livre pour le faire et faites confiance en ses conseils. Il est important qu'il y ait une confiance mutuelle entre le patient et son médecin et changer ou arrêter un traitement sans l'accord de ce dernier contribue rarement au renforcement de cet état de confiance.
Avec comme argument supplémentaire que toute manipulation du traitement est dangereuse, voire létale, et en général davantage pour les patients que pour le médecin…
Source : Kurt Segers, « La démence oubliée – Introduction », in La démence oubliée – Comprendre la maladie à corps de Lewy, Éditions Politeia, 2020, pp. 7-10