Le service des Monuments et des sites vient de publier «L’architecture hospitalière en Belgique», un livre particulièrement intéressant que tout médecin se doit d’avoir dans sa bibliothèque. Nous avons rencontré le professeur Robrecht Van Hee, chirurgien et spécialiste de l’histoire de la médecine, qui a dirigé cette publication.
L’ouvrage a été présenté lundi dernier dans la chapelle de l’hôpital Brugmann à Laeken, dessinée par Victor Horta. On ne pouvait rêver d’endroit plus approprié pour parler d’un livre sur l’architecture hospitalière. Emir Kir, le secrétaire d’État de Bruxelles-Capitale chargé des Monuments et des sites, a profité de l’occasion pour annoncer que ce monument exceptionnel serait désormais protégé. Un budget de 3 millions d’euros sera affecté à sa restauration.
- Journal du Médecin: En quoi cette chapelle de Victor Horta est-elle si particulière?
- Robrecht Van Hee: C’est l’un des chefs-d’œuvre de l’un des plus grands architectes qu’ait connus notre pays. L’hôpital Brugmann se caractérise par son organisation en pavillons. On retrouve le même principe architectural à l’hôpital Stuyvenberg d’Anvers, où je travaille. Mais la chapelle de l’hôpital Brugmann a quelques éléments tout à fait particuliers. Tout d’abord la présence de deux absides: l’une pour les célébrations religieuses, l’autre pour les manifestations laïques. À l’origine, elles étaient séparées par un rideau. Il y aussi ce plateau qui permet d’amener les cercueils dans la chapelle depuis la chambre mortuaire qui se trouve en sous-sol, au moyen d’une sorte d’ascenseur, de «monte-corps». C’est quelque chose de tout à fait unique. Je n’en connais pas d’autre exemple au monde.
- Sans vouloir faire de l’humour noir, le défunt surgit du néant comme un deus ex machina au théâtre!
- Oui, c’est tout à fait ça. On dirait un accessoire de théâtre ou un monte-plat, comme on en utilise dans les restaurants et les hôtels. C’est absolument génial. L’éclairage est, lui aussi, très particulier. Horta a travaillé sur la lumière d’une manière très singulière. Il faut dire qu’il était convaincu de son effet bénéfique sur les malades.
- En quoi l’architecture hospitalière belge se distingue-t-elle?
- Sur les quelque 300 hôpitaux que nous avons répertoriés, une bonne moitié présente un intérêt historique ou artistique. La Belgique compte encore quatre ou cinq hôpitaux datant du moyen âge, en état de relative bonne conservation. La Renaissance est particulièrement bien représentée, tout comme, bien évidemment, le XIXe et le XXe siècles, époque où la Belgique a joué un rôle architectural de premier plan.
- Le patrimoine hospitalier belge tient-il bien la comparaison avec l’étranger?
- Oui, tout à fait. Nous avons conservé davantage d’églises que d’hôpitaux, mais cela s’explique. Les hôpitaux ont beaucoup souffert en temps de guerre. Sans compter qu’un grand nombre d’entre eux ont subi des transformations dues à l’évolution des techniques et des conceptions sanitaires. Imaginez par exemple que le Stuyvenberg, qui a été construit dans les années 1880, contenait des salles pouvant accueillir 30 patients! Plus aucun malade n’accepterait cela aujourd’hui. Au fil du temps, les grandes salles ont été subdivisées en petits box. Et nous en sommes aujourd’hui à la troisième génération des salles d’opération. Toutes ces modifications portent naturellement atteinte au patrimoine.
- Si vous deviez ne retenir qu’un seul hôpital belge, lequel choisiriez-vous?
- Sans aucun doute l’hôpital Saint-Jean de Bruges. C’est non seulement un bel hôpital médiéval, mais c’est aussi le plus vieil exemple d’architecture hospitalière que nous ayons conservé en Belgique. La figure de Hans Memling renforce encore son capital symbolique. Comme il était le peintre officiel de Saint-Jean, l’hôpital détient vingt toiles du maître, une extraordinaire collection qui fait qu’une partie du bâtiment a été transformée en musée.
- Comment vous est venu cet intérêt pour l’histoire?
- C’est pendant mes études que j’ai commencé à m’intéresser à l’histoire de la médecine. Disons que j’ai commencé en dilettante... Lorsque l’université d’Anvers a cherché un remplaçant au professeur De Backer pour enseigner l’histoire de la médecine, on est venu frapper à ma porte. J’enseigne par ailleurs aussi l’histoire des sciences à des étudiants en histoire.
- Comment faites-vous pour enseigner à la fois à des étudiants en médecine et en histoire?
- La terminologie n’est pas du tout la même, c’est vrai. En médecine, le latin est resté très courant, mais pas en histoire, où seuls 20 % des étudiants ont appris cette langue. Je dois donc m’adapter.
- Vous avez déjà publié de nombreux livres. En quoi celui-ci est-il si particulier?
- En ce que nous y avons répertorié le patrimoine belge de l’architecture hospitalière. Au départ, nous voulions mettre l’accent sur 150 édifices d’exception. Des raisons budgétaires ont fait que nous nous sommes limités à la moitié. Il n’empêche que cet aperçu montre clairement l’importance de ce patrimoine. L’autre aspect qui est, selon moi important, c’est que nous établissons un lien entre architecture et fonctionalité. Pour les médecins, je pense que cette démarche est doublement intéressante.
L’architecture hospitalière en Belgique
Dès le prochain numéro, Le Journal du médecin entamera une série consacrée au livre «L’architecture hospitalière en Belgique».
Publié par les Monuments & sites, cet ouvrage est le fruit d’une collaboration exceptionnelle entre l’État fédéral et la Communauté flamande. Il est disponible en français et en néerlandais (De architectuur van Belgische hospitalen). Chacune des deux versions peut être commandée en versant la somme de 45 euros (frais de port inclus) sur le numéro de compte 091-2206040-95 du service des Monuments et des sites, avenue Roi Albert II 19 boîte 3, 1210 Bruxelles. Info: Diane Torbeyns, tél. 02/553 16 13, e-mail: diane.torbeyns@lin.vlaanderen.be
Le secrétaire d’État de Bruxelles-Capitale en charge des Monuments et des sites a profité de la présentation de ce livre pour annoncer que la chapelle de l’hôpital Brugmann serait désormais classée et qu’elle serait bientôt restaurée. L’exécutif bruxellois a donné son feu vert.
La chapelle, dont les plans et le début de la construction datent de 1912, est unique dans l’œuvre d’Horta. Ses deux absides, ses arcs en plein cintre et ses murs de brique rouge traversés par des bandes de briques blanches intègrent cet édifice dans l’ensemble que constitue l’hôpital Brugmann. La chapelle est flanquée d’annexes servant de salles d’autopsie et de morgue. Horta a exploité la dénivellation du terrain d’une façon magistrale en donnant aux différents volumes des affectations qui paraissaient inconciliables à première vue…
La chapelle sera transformée en salle de conférence. Les travaux devraient être achevés en 2006, pour le centième anniversaire de l’hôpital Brugmann.
Auteur : Henk Van Nieuwenhove
Source : Le Journal du Médecin
(n°
1672 du 03/05/2005) - ©Lejournaldumedecin.com