Sous l'impulsion du Pr Body, une vaste étude épidémiologique a été lancée au CHU Brugmann. Son but? Mettre au point un outil de prédiction du risque de fracture chez les femmes de plus de 60 ans. Une première en Europe!
Depuis quatre ans, un curieux manège s'opère au CHU Brugmann. Chaque semaine, des femmes d'âge "mûr" défilent pour répondre aux questions indiscrètes de l'équipe du Pr Jean-Jacques Body. Faites-vous du jogging? Du jardinage? Prenez-vous des somnifères? Combien de verres d'alcool consommez-vous? Autant de questions auxquelles plus de 2.500 femmes ont déjà répondu. L’objectif? Évaluer les facteurs qui pourraient favoriser une fracture ostéoporotique dans les dix ans. Une enquête ambitieuse baptisée FRISBEE: Fracture Risk Brussels Epidemiological Enquiry.
L'ostéoporose, un problème de santé majeur
Sans traitement, une femme sur trois sera victime d'une fracture après l’âge de 50 ans. En cause? L'ostéoporose, une maladie chronique qui fragilise les os, surtout chez les femmes ménopausées. Une préoccupation majeure, étant donné le "mamy boom". Heureusement, la prise d'un traitement permet de réduire le risque de fracture de 30 à 60%. D'où l'intérêt de repérer à temps les personnes à risque! Actuellement, ce dépistage est réalisé par ostéodensitométrie, un examen qui permet de mesurer la densité des os. Le hic: plus de la moitié des fractures surviennent chez des femmes qui n'ont pas été dépistées suite à cet examen!
L'ostéodensitométrie: un outil insuffisant
La faible densité osseuse ne constitue en effet qu'un facteur de risque de fracture parmi d'autres comme le tabagisme, certains médicaments, la tendance aux chutes, l’hérédité, le manque d'exercice… Une vingtaine de facteurs entreraient en compte. Une réalité prise en compte par l'OMS qui a mis au point FRAX, un modèle de prédiction des fractures fondé sur des études réalisées aux quatre coins du monde. N'importe qui peut calculer sa probabilité de fracture dans les dix ans en répondant à un questionnaire en ligne. À l'avenir, c'est sur ce type de prédiction que le remboursement des médicaments pourrait être établi et non plus seulement sur la mesure de la densité osseuse.
Les lacunes du modèle FRAX
Si l'OMS l'a déjà fait, pourquoi le CHU Brugmann se lance-t-il dans la construction d'un outil similaire? "FRAX n'est qu'un premier pas vers cette approche multifactorielle", explique le Pr Jean- Jacques Body, chef du Service de Médecine du CHU Brugmann et instigateur de l'étude FRISBEE. "Tous les facteurs de risque de fracture identifiés à ce jour n'ont pas été inclus dans ce modèle. Par exemple la sédentarité, une ménopause précoce, la tendance aux chutes… et cela parce que l'OMS ne disposait pas d'études ayant démontré l’impact de ces facteurs lors de l'élaboration du FRAX."
Pas tous égaux en matière de fracture
Autre faiblesse de FRAX: les différences nationales ne sont pas prises en compte. "Or, le taux de fractures de hanche varie beaucoup selon le pays, même au sein de l'Europe!", souligne le Pr Body. Ce qui peut jouer? "Nous n’avons que quelques hypothèses", répond le scientifique. "Certaines nationalités cumulent peutêtre plus de facteurs de risque: tabac, alcool, sédentarité… Le poids de certains facteurs peut aussi varier d’un endroit à l’autre. Pour le savoir, il faudrait que chaque pays fasse sa propre étude!" De plus, les travaux sur lesquels le modèle FRAX est fondé sont anciens. Le mode de vie a changé depuis qu’ils ont été réalisés. Pour l'instant, seuls l'Australie, le Canada… et la Belgique se sont lancés dans de nouvelles études à grande échelle.
Suivi sur dix ans
Après avoir répondu aux questions de l'équipe et bénéficié d’une ostéodensitométrie lors d'une première consultation, toutes les femmes recevront un coup de fil annuel pendant dix ans. Objectif de cet entretien? Identifier les changements dans leur vie et répertorier leurs éventuelles fractures. À terme, les habitudes des femmes avec et sans fractures seront comparées afin d'évaluer le poids de chaque facteur de risque et construire un modèle de type FRAX mais plus fiable et spécifique à la Belgique.
FRISBEE en pratique
Un beau projet, mais encore fallait-il le réaliser! Pour trouver des participantes, l'équipe utilise des listes de population des communes proches des trois hôpitaux participant à l'étude: le CHU Brugmann (sites Brien et Horta), le CHU Saint-Pierre et Iris Sud (site d'Ixelles). Restait ensuite à mettre l'enquête en musique: gérer la base de données, fixer les rendez-vous avec les volontaires, réaliser les suivis… Une organisation colossale prise en charge par l'infirmière Carole Dekelver. "Ce travail nous semblait un peu abstrait au début", avoue-t-elle. "Mais avec les premiers résultats, l'investigation commence vraiment à prendre forme. C'est agréable d'aller à la rencontre de toutes ces femmes!"
Sylvie Cappelle, la relève
La jeune gériatre Sylvie Cappelle a rejoint l'étude FRISBEE en vol. "L'ostéoporose et ses dégâts, je les croise tous les jours dans ma pratique", souligne-t-elle. Son rôle? Faire un premier bilan du projet après cinq ans dans le cadre de sa thèse. En parallèle, elle mène une enquête similaire au sein des maisons de repos. Une collaboration dont se réjouit le Pr Body: "Comme FRISBEE court sur plus de dix ans, je suis content de savoir qu'un jeune médecin s'implique dans le projet". Reste à espérer que les financements suivront. Subventionné trois fois par une bourse Iris Recherche, mais aussi par le CHU Brugmann et l’industrie pharmaceutique, FRISBEE doit encore trouver de nouveaux soutiens financiers. L'appel est lancé…
Auteur : Barbara Delbrouck
Source : Osiris News
(n°
25, décembre 2011-février 2012)