Permettre aux soignants et aux soignés de se comprendre et de fonctionner sans heurts, c'est l'une des clés du bon fonctionnement de tout hôpital. Au CHU Brugmann, cette mission est assurée par un service dédié, représenté sur les deux sites Horta et Brien.
Tout au long de leurs interventions,
les médiatrices travaillent pour offrir
aux patients de culture étrangère
l'accès à une meilleure compréhension de
leur maladie, de leur traitement ou de tout
ce qui concerne leur séjour à l’hôpital. Elles
essaient également de favoriser le respect du
traitement en passant par l'éclaircissement
de certains facteurs liés à la culture ou à la
trajectoire propre de chaque patient.
Daniela Antonova, médiatrice sur le site
Horta, raconte une anecdote éloquente: "Une
dame tzigane bulgare refusait de laisser son
fils se faire opérer à l’hôpital, malgré les
avis des médecins. Lorsque je l'ai rencontrée
j'ai compris assez rapidement qu’elle
ne faisait pas suffisamment confiance à l'hôpital
pour y laisser son fils. Dans la culture
tzigane, il arrive en effet souvent qu’il y ait
une méfiance assez forte à l’égard des institutions,
quelles qu’elles soient, et un désir
de préserver sa culture et son mode de vie en se tenant à l’écart de leur influence et de
leurs interventions – il faut dire que pendant
très longtemps, en Europe de l’Est, les interventions
en question ont été autoritaires et
plutôt négatives: interdiction du nomadisme,
violentes tentatives d’acculturation, etc".
Pas si étranger…
Daniela Antonova retrouve un dicton bulgare dans ce que la mère exprime: "Malheur à celui qui s’en va au loin, mourir dans des mains étrangères". "La mère affirmait en effet qu’elle ne laisserait jamais son enfant dans des mains étrangères, continue la médiatrice. Je lui ai répondu qu’elle avait raison dans un sens. Le médecin qui allait opérer son fils était bien un étranger par rapport à elle: il n’était pas tzigane, et il ne connaissait absolument rien de la culture tzigane. En revanche, il n’était pas du tout étranger au corps de son fils puisqu'il l'avait étudié pendant des années. Et il connaissait mieux encore l'organe malade dans le corps de son enfant, pour lequel il s'était spécialisé. Lorsque la dame s'est sentie entendue dans son inquiétude, et comprise, elle s'est mise à l’écoute de mon argumentation. Le fait de savoir que le médecin n’était pas tout à fait étranger par rapport à son fils l'a beaucoup apaisée. Quelques jours plus tard elle a accepté l’opération, sans avoir l’impression de trahir son fils ou de l’abandonner."
Aider les soignants aussi
La compréhension de la culture du patient étranger importe aussi aux soignants. Elle leur permet de saisir ce qui fait sens pour le patient au niveau de sa maladie ou du traitement proposé, et de négocier ce dernier avec lui. Le Dr Marie-Paule Guillaume, Chef de clinique adjointe au service de médecine interne, spécialisée dans les maladies infectieuses, en témoigne. "En tant que médecin du service public, je suis de plus en plus amenée à prendre en charge des migrants de toute origine, dans un contexte d’infection au VIH. Ceci implique d’intégrer dans ma pratique quotidienne des notions éthnoculturelles, le migrant étant par essence à cheval entre deux systèmes culturels différents." Pour les patients migrants, le VIH entraîne des problèmes nombreux et complexes, continue le Dr Guillaume. "Le diagnostic d’une infection potentiellement mortelle et transmissible, nécessitant un suivi à vie et une observance sans faille du traitement prescrit, est difficile à accepter. Surtout qu'il entraîne l'interdiction d'allaiter en cas de grossesse, mais aussi parfois l’effondrement du projet de mariage du patient, ou la peur constante du rejet, impliquant un maintien du secret de la maladie. Le patient VIH vit un véritable exil intérieur."
Des bénéfices bien concrets
Si la médiation interculturelle est
importante, ce n'est pas seulement
pour de beaux principes, mais parce
qu'elle a un véritable impact, explique le
Dr Guillaume: "Reconnaître que l’autre
existe en tant que tel avec ses particularités,
ses différences, permet de le considérer dans sa globalité, et ainsi d’optimaliser
la prise en charge thérapeutique.
La médiatrice peut, dans le cadre de
cette démarche, nous aider. Elle permet
au patient d’exprimer ce qui relève de sa
culture sans crainte d’être jugé et prend
en compte sa manière de penser. Par
ailleurs, elle éclairera le médecin sur le
contexte culturel propre au patient, et le
sens des conflits éventuels. Les bénéfices pour le patient seront une confiance
accrue dans l’équipe médicale et l’institution,
une amélioration de l’observance aux soins et aux traitements, une moindre
fréquence d’hospitalisation pour
complications et une diminution des
impasses thérapeutiques. Une médecine
plus humaine est une médecine capable
de prendre en compte chaque être
humain dans sa spécificité et travailler
en collaboration avec la médiatrice interculturelle
peut nous y aider".
Enfin, le fait que la médiatrice comprend,
sans le juger, son langage culturel a pour
le patient une fonction directe d’apaisement; fonction qui, bien sûr, ne prend
pas la place du soin, mais peut en être
un des éléments déclencheurs. Ce temps
de médiation nécessaire passé auprès du
patient ne peut être exigé des soignants,
qui sont débordés. Il s’agira donc, en
prenant ce temps, de les aider dans leur
tâche. En sachant que plus le soigné
est apaisé, plus le soignant pourra faire
tranquillement son travail.
Source : Osiris News (n° 9, décembre 2007-février 2008)